Notre lettre 422 publiée le 14 janvier 2014
TRANSCENDANCE ET PROXIMITÉ :
LA RECETTE GAGNANTE POUR L’ÉGLISE ?
Réflexions sur la désignation du pape François comme personnalité de l’année
Que le pape François soit « la personne de l’année » pour le magazine Time et le quotidien Le Monde comme pour la radio Europe 1 ou pour la plus ancienne des revues homosexuelles américaines, peut avoir quelque chose d’indécent, surtout au regard du sort réservé par ces mêmes rédactions à son prédécesseur immédiat.
Nous ne nous arrêterons pas sur les motivations de ces choix, plus souvent politiques que religieuses, mais nous voulons tout simplement constater qu'en ce début 2014, l’Église fait encore recette. Un vaticaniste nous confiait récemment que l’hypermédiatisation du nouveau pontificat n’était pas le fait seulement des journalistes mais aussi du public : c’est parce que le Pape se vend qu’il est sans cesse à la une des journaux, imprimés ou télévisés. Selon un sondage BVA des 17 et 18 décembre 2013 pour Le Parisien, 85 % des Français en ont une opinion favorable.
Ce qui plairait chez le pape François, nous expliquent les médias et nos voisins de palier ou de bureau qui ne mettent pas les pieds à l’église, c’est qu’il est "proche des gens". Le médecin de famille et la boulangère aussi sont "proches des gens", pourtant ils ne font guère couler d’encre. La popularité de François tient donc avant tout au fait qu’il soit pape : c’est bien parce qu’il est le chef de l’Église catholique que sa proximité frappe les esprits et les opinions. C’est donc que l’Église catholique elle-même occupe encore les esprits et les cœurs, y compris dans les pays où la pratique catholique est en chute libre, et même si les maîtres à penser de l’heure en profitent pour instrumentaliser l'Église comme le Pape, tout en leur faisant la leçon (l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel de littérature, agnostique, s’est réjoui récemment des efforts du pape François « pour moderniser l’Église » tout en souhaitant… qu’il démette deux archevêques d’Amérique latine qui, selon lui, représentent « une Église de l’âge des cavernes », La Croix, 29 décembre 2013).
Ajoutons que chez les catholiques à proprement parler – qui se sentent de plus en plus marginaux dans la plupart des régions du monde – le besoin de se retrouver derrière un chef charismatique est toujours plus grand. Y compris physiquement. Les audiences publiques du mercredi sur la place Saint-Pierre, qui attiraient déjà beaucoup de monde sous Jean-Paul II mais aussi sous Benoît XVI, ressemblent de plus en plus, depuis l’avènement du pape François, à des JMJ (de 7 à 77 ans !) hebdomadaires.
L’intérêt porté au Vicaire du Christ est la manifestation d’un désir de transcendance que l’horizontalité d’une modernité matérialiste et relativiste est incapable d’étouffer totalement. Certains diront qu’il est paradoxal de voir de la transcendance dans cette popularité du Pape alors même que c’est la proximité de François qui est plébiscitée. Sans doute, le message proprement religieux retenu par nos contemporains dans les interventions du Pape est-il extrêmement ténu ; mais nous sommes convaincus que c’est parce qu’il représente dans l’imaginaire collectif une passerelle vers le Bon Dieu que le pape demeure un symbole fort pour de nombreuses personnes.
Nous ne serions pas surpris que les prêtres de terrain puissent nous juger optimistes, confrontés qu’ils sont à une indifférence écrasante pour les exigences de la religion, voire, et c'est presque pire, à un intérêt purement mondain, comme lors de ces demandes de funérailles où la famille précise : « Surtout, mon Père, vous ne parlerez pas de Dieu » ! Cependant, même si l’intérêt pour le catholicisme se réduit à une mèche qui fume encore, il importe de ne pas l’éteindre ; même s’il n’est plus qu’un roseau déjà à demi rompu, il importe de ne pas le briser (Saint Matthieu 12, 20).
De fait, dans nos paroisses (1), en dépit de la chute continue des vocations et de celle de la pratique dominicale, ce désir de plus de transcendance existe aussi chez un certain nombre de catholiques vraiment pratiquants, et démontre que leur foi reste entière. Le succès rencontré par la pratique de l’Adoration Eucharistique, partout où elle est proposée, en est un signe. Et, comme l’a magnifiquement enseigné Benoît XVI, la recherche d’une liturgie plus digne et plus priante, plus sacrée, en est un autre. Ce n’est pas un hasard si – comme l’a démontré de façon cohérente, dans le temps et dans l’espace, notre série de sondages nationaux et diocésains sur le Motu Proprio Summorum Pontificum – plus d’un catholique pratiquant sur trois se déclare prêt à assister à la liturgie traditionnelle pour peu que celle-ci soit proposée dans sa paroisse.
Transcendance et proximité sont donc, à divers degrés, les ingrédients de la popularité du Pape. Ces deux éléments – Dieu reconnu dans son infinité, Dieu dont on désire la proximité – ont en réalité toujours été des appuis pour l’évangélisation du monde : qu’y aurait-il d’étrange, alors, à ce qu’ils se manifestent aujourd’hui encore dans une sorte de plébiscite de la papauté susceptible, à son tour, de concourir à la nouvelle évangélisation ?
(1) Dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium (28), le pape François a tenu à rappeler que la paroisse « n’est pas une structure caduque », et a souligné combien il est important qu’elle « soit en contact avec les familles et avec la vie du peuple, et ne devienne pas une structure prolixe séparée des gens, ou un groupe d’élus qui se regardent eux-mêmes ». Ainsi soit-il !