Notre lettre 487 publiée le 29 avril 2015

L’ABANDON DE LA MESSE TRADITIONNELLE, UNE LOURDE ERREUR DE COMMUNICATION !

La messe traditionnelle comme « tête de gondole de l’Église » ? C’est d’une certaine façon le propos tenu par un fameux publicitaire brésilien devant la conférence des évêques du Brésil. Attention, ça décape !


L'Angelus, Jean-François Millet, Musée d'Orsay.

I – L’ÉGLISE, PREMIÈRE AGENCE DE COMMUNICATION DE L’HISTOIRE

En 1977, Alex Periscinoto, l’un des pionniers de la publicité moderne au Brésil, avait été invité par la Conférence épiscopale de son pays pour une réflexion sur l’Église, son image et les moyens à sa disposition pour promouvoir la Foi. Au lieu d’une conférence, c’est une conversation à bâtons rompus que Periscinoto, qui fête ses 90 ans cette année, avait tenu avec les évêques présents. Pendant près de deux heures, le publicitaire leur avait expliqué que l’Église n’avait en fait rien à inventer car elle avait déjà à sa disposition tous les outils de communication nécessaires pour conserver ses fidèles. Pour une raison simple, c’est elle qui les a quasiment tous inventés !

Voici un résumé libre de cette intervention parfois choquante – c’est un publicitaire qui s’exprime – mais encore pertinente 40 ans plus tard.

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La cloche, premier média

Selon Alex Periscinoto, le premier moyen de communication que le monde ait connu a été la cloche et a été l’un des plus performants, car non seulement elle atteignait 80 à 90 pour cent des habitants du village mais elle influait aussi sur leur comportement à chaque fois qu’elle battait. Il n’y a qu’à penser à l’image de l’Angelus de Millet pour lui donner raison. Même lorsque les villageois étaient moins pieux que ceux de Millet, ils savaient que les cloches de l’Angelus sonnaient aussi l’heure du repas, avec ou sans Benedicite.

Le clocher, premier panneau d’affichage

Le publicitaire brésilien va même jusqu’à attribuer à l’Église l’invention de l’affichage. L’affichage est utilisé pour mettre en évidence un produit, un message, le distinguer des autres. « Quand tous les toits des villages étaient bas, les hommes d’Église ont construit un toit élevé, très élevé, bien plus élevé que les toits communs, et pointu. Ce n’était pas pour faciliter la chute de la neige puisque ce toit était utilisé même dans les pays où il n’y a pas de neige. Sa fonction c’était de faire en sorte que quiconque arrivant dans le village pouvait dire : c’est là ! Et on le voyait de loin, le clocher de l’église. » Si on repense au tableau de Millet, on aperçoit, sur la ligne d’horizon derrière le couple de paysans, la silhouette du clocher de leur village...

La croix, premier logo

« Vous avez aussi inventé le premier logo – cet autre outil que nous utilisons beaucoup dans notre travail ; le plus heureux et le plus saint des logos : la croix. » Comme le souligne Periscinoto, nul n’a jamais oublié de placer la croix à l’entrée de chaque village ou de l’afficher tout en haut du clocher. Et le publicitaire de provoquer : « Ce logo est si bon qu'un fou comme Hitler s’en est emparé, y a ajouté quatre extrémités, et a presque gagné la guerre. »

Le confessionnal, premier institut de sondage

La science commerciale ne serait rien sans les études de marché. Notre publicitaire brésilien n’hésite pas à attribuer aussi leur invention à l’Église ! Les études de marché sont fondamentales pour le lancement de n’importe quel produit. Sans étude préalable, le message peut être mal perçu, tomber à côté, arriver à un mauvais moment, choquer négativement...
« Or, affirme Periscinoto, c’est au sein de l’Église qu’a été inventé le premier département d’études... le confessionnal ! Pour ma mère, le confessionnal a été inventé pour pardonner mais vous, ecclésiastiques, savez bien que le confessionnal a été inventé pour recueillir des subventions et des renseignements. » Et le spécialiste ne cache pas sa fascination professionnelle pour un tel lieu, le seul, où la personne sondée ne ment pas...

La procession, première caravane publicitaire

Selon Periscinoto, les opérations promotionnelles aussi sont une invention ecclésiastique. Et de prendre l’exemple des processions.
Qu’est-ce qu’une procession mariale dans une ville de province, en effet, si ce n’est la promotion de la fête de Notre-Dame ? « Dans le monde de la publicité, explique le publicitaire, quand nous faisons une opération promotionnelle, nous utilisons beaucoup de ce que vous nous avez appris. Comme vous, nous avons des codes, des drapeaux, des uniformes... mais notre mystique commerciale est loin d’être comparable à la vôtre ! »

Le chemin de croix, premier visuel

14 images pour résumer la vie souffrante du Christ. 14 images affichées dans toutes les églises pendant des siècles. Pour Periscinoto, le chemin de croix est tout simplement le meilleur visuel de l’histoire.


II – LE REGRETTABLE CHANGEMENT DE LA MESSE

Mais le publicitaire avait encore quelque chose de plus troublant à dire à ces évêques qui étaient en pleine lune de miel de leurs épousailles avec la modernité. Rappelons que nous sommes en 1977, soit à une époque où l’enthousiasme créatif pour la nouvelle messe est à son comble, et que l’ancienne messe est tenue pour interdite même si, quelque part au Brésil, un évêque, Mgr de Castro Mayer, et tout son diocèse de Campos, résistent au missel de Paul VI.

Periscinoto : « Vous avez changé la messe. Aujourd’hui, la messe n’est plus en latin et le prêtre se trouve face au public . J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : ma mère n’a jamais ressenti que vous lui tourniez le dos ; elle pensait que vous étiez face à face avec Dieu. Elle aimait le latin, même sans rien y comprendre. Pour elle, c’était un langage. Un langage mystique dans lequel vous parliez avec le Seigneur. À la fin de la messe, quand vous vous retourniez et bénissiez toute l’assemblée, elle se sentait heureuse et récompensée d’être restée une heure à genoux.
Ce sentiment s’est perdu. Maintenant, en faisant face au public, vous perdez une partie de la mystique liée à ce face-à-face avec Dieu. Et la messe en portugais perd beaucoup par rapport à celle en latin, qui ravissait les fidèles. Ce changement réalisé dans l’idée d’élargir votre public ou de mieux vous y adapter a été, à mon avis, une énorme erreur. Bien sûr, il ne s’agit que de mon avis, celui d’une personne qui n’a aucune compétence religieuse mais qui travaille dans la communication depuis plusieurs années et qui observe la messe justement du point de vue de la communication. »


III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE


En 1981, la course à l'Élysée passait par une église de campagne sur une affiche électorale.

1) Par sa carrière, Alex Periscinoto était un peu le Jacques Séguéla brésilien. Et, si on regarde la fameuse affiche « La Force tranquille » conçue par Jacques Séguéla pour François Mitterrand en 1981, on voit bien qu’il n’y a pas qu’au Brésil que les publicitaires ont su associer l’image du clocher à celle d’une communication réussie. Manuel Valls, qui soigne la sienne, n’a-t-il pas dit après l’attentat évité contre une église de Villejuif : « Vouloir s'en prendre à une église, c'est vouloir s'en prendre à un symbole de la France » ?
La réflexion de Periscinoto, 40 ans après, garde toute son actualité. Elle résume parfaitement la crise d’identité qui frappe le catholicisme depuis que « l’esprit du Concile » a voulu faire table rase du passé pré-Vatican II. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les mouvements de réveil et de renouveau du catholicisme sont souvent aujourd’hui rassemblés sous le vocable de « catholicisme identitaire » dans la mesure où les éléments extérieurs et visibles de la Foi y sont clairement assumés.

2) En portugais, publicité se dit propaganda. Jusqu’en 1967, Propaganda fidei [Propagation de la foi] était d’ailleurs le nom du dicastère qui est devenu la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples. Les évêques brésiliens, qui avaient sollicité les conseils de Periscinoto, n’ont donc pas dû être surpris par les parallèles parfois osés qu’il a tracés entre les symboles de la Foi et l’univers de la publicité.
Pas plus, d’ailleurs, que ne le serait le cardinal Sarah, actuel Préfet du Culte divin. Voici le témoignage qu’il livre sur la croix de son village natal, à la page 31 de son entretien avec Nicolas Diat (Dieu ou rien, Fayard, 2015), qui illustre parfaitement les propos de notre publicitaire brésilien : « Chaque soir, les pères d’Ourous réunissaient les enfants près d’une grande croix, plantée dans la cour de la mission, comme pour symboliser le cœur et le centre du village ; nous pouvions la voir de loin elle était l’orientation de toute notre vie ! C’est autour de la croix que se faisait notre éducation humaine et spirituelle. »

3) « Ma mère n’a jamais ressenti que vous lui tourniez le dos ; elle pensait que vous étiez face à face avec Dieu. Elle aimait le latin, même sans rien y comprendre. Pour elle, c’était un langage. Un langage mystique dans lequel vous parliez avec le Seigneur. » Et, à la fin de la messe, elle était heureuse nous dit Periscinoto.
Comme nous l’avons rappelé dans notre lettre 481, il est faux de dire que « l’ensemble du peuple catholique a accueilli la réforme liturgique dans la liesse ». Non pas seulement par méfiance ou horreur de la nouvelle messe mais aussi, voire surtout !, comme le dit bien Periscinoto, par incompréhension de se voir privé d’une liturgie qui était source vive et pérenne de foi et, même, de plénitude et de bonheur. Dit en termes publicitaires : pourquoi me priver de mon produit fétiche quand toute la famille en raffole ?
Dans sa thèse de doctorat en Sorbonne, publiée aux éditions de l’Atelier sous le titre Paris à l'heure de Vatican II (1997), l’historien Luc Perrin relève, enquête précise à l’appui, à quel point les fidèles étaient profondément hostiles à la modernisation de la liturgie qu’on leur imposait à marche forcée : ils souffraient de la disparition du silence, du changement dans le répertoire des chants, dans la transformation de l’espace, de la destruction des statues, mais le clergé n’en tenait aucun compte, au contraire.

4) Les réflexions de ce publicitaire brésilien faites dans les années 70, donc à une période où l’Église restait encore très riche en hommes et en moyens, illustrent bien ce qui apparaît aujourd'hui comme une évidence : en dépit de leurs slogans de l'époque, les hiérarques de l’Église ont en fait totalement ignoré les « signes des temps ». Ils ont méconnu les réserves et les capacités de résistance du peuple chrétien dans son ensemble, et de la jeunesse chrétienne en particulier, à l’esprit de 68. Ils ont joué la démagogie contre le sens de la foi. La braderie liturgique qu’ils ont orchestrée est le signe le plus tangible de leur aveuglement. Le désastre catéchétique qui l’a accompagnée donne la mesure de leur responsabilité. Il fallait un publicitaire – un moderne par excellence – pour le leur dire. 40 ans plus tard, ses propos font encore mouche...

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