Notre lettre 491 publiée le 20 mai 2015

LA MESSE TRADITIONNELLE DANS TOUS SES ÉTATS : Seconde partie

LA MESSE PONTIFICALE

Dans notre lettre 488, publiée le 5 mai 2015, en la fête de saint Pie V, nous introduisions une série de lettres consacrées à la riche diversité des degrés de solennité de la messe romaine en forme extraordinaire et annoncions notre intention de revenir plus en détail sur :
- la messe solennelle de l’évêque ou messe pontificale ;
- la messe solennelle du prêtre et la messe chantée ;
- la messe lue ou messe basse.

En cette veille de Pentecôte, solennité importante de l'année liturgique, nous voudrions donner ici les éléments qui permettent de bien saisir la spécificité de la messe pontificale, c’est-à-dire de la célébration solennelle du saint sacrifice par l’évêque, Successeur des Apôtres, qui a reçu la plénitude du sacerdoce et célèbre le saint sacrifice en tant que tel.


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Les messes pontificales traditionnelles auxquelles on peut concrètement assister aujourd’hui sont :

- soit des messes au trône, avec l’usage de la crosse : c’est la forme que prend normalement la messe de l’évêque diocésain (1), à laquelle on peut, par exemple, assister lorsque l’évêque diocésain dit cette messe à l’occasion de confirmations en forme extraordinaire. L’évêque diocésain peut aussi concéder ce droit à un autre évêque en visite dans son diocèse ;

- soit des messes pontificales au fauteuil ou faldistoire, fauteuil en forme d’X, semblable à celui des sénateurs romains, sans l’usage de la crosse. Le faldistoire est placé sur le pavé du sanctuaire, du côté de l’épître, tourné vers le chœur. C’est la forme que prend généralement la messe pontificale d’un évêque qui n’est pas l’évêque du diocèse, par exemple la messe d’ordination d’évêques invités par des communautés Ecclesia Dei. On peut voir aussi l’évêque du lieu « assister » au trône à la messe pontificale que célèbre un évêque au faldistoire, à Chartres, par exemple, à l’occasion du Pèlerinage de Chrétienté ;

- soit des messes célébrées par un Abbé religieux au trône, dans son abbaye (à Fontgombault, au Barroux, etc.), ou, ailleurs, au faldistoire.

Nous parlerons ici spécialement de la messe de l’évêque diocésain dans sa cathédrale. C’est en effet en se référant à cette messe que l’on comprendra mieux toute messe pontificale.


À la Toussaint 2014, l'évêque de Norwich a célébré au trône dans sa cathédrale, ce qui n'était plus arrivé depuis... 1558 !


I - La messe pontificale, une leçon d’ecclésiologie

C’est une messe qui place vraiment ceux qui y participent au cœur de l’Église. Ajoutons : au cœur de l’Église d’aujourd’hui, car dans la situation de « retour » liturgique qui est la nôtre, elle permet de voir célébrer en forme extraordinaire, depuis 1988 et plus encore depuis 2005, des évêques qui, pour la plupart, ne pratiquent pas habituellement cette forme.

Lex orandi, lex credendi : l’adage fondamental qui rappelle la force du lien entre le culte pratiqué et la foi confessée se vérifie ici de manière très claire. Tout en effet dans cette messe de l’évêque manifeste ce qu’est la hiérarchie de l’Église catholique, dans la mesure où elle exprime parfaitement que l’évêque, officiant à l’autel majeur et sur sa cathèdre (d’où le nom de cathédrale : église où est dressée en permanence le trône de l’évêque du lieu), exerce, au milieu des divers ordres de son clergé, la plénitude du sacerdoce participé de l’unique sacerdoce du Christ. D'autre part, il s’y réalise ce qu’exprimait le principe de saint Ignace d’Antioche : Ubi episcopus, ibi Ecclesia, « où est l’évêque, là est l’Église », parce qu’il apparaît cérémoniellement comme le Successeur des Apôtres au milieu de son sénat, à savoir des chanoines du chapitre cathédral, de son clergé et de son peuple.

L’évêque, pour dire la messe, utilise le Missel, comme tout prêtre. En revanche, pour la célébration des sacrements qui lui sont propres (la confirmation, du moins généralement, et l’ordination), pour la consécration de lieux (la dédicace d’une église), de choses (la consécration d’un autel), ou de personnes (la consécration de vierges, la bénédiction d’un abbé), il use non pas du simple Rituel sacerdotal, mais du Pontifical. En outre, un livre liturgique spécial, le Cérémonial des Évêques, décrit dans le détail un certain nombre de cérémonies épiscopales, spécialement celles de la messe solennelle et celles de l’Office divin célébrés pontificalement (2).

Bien entendu la messe de l’évêque, la messe d’un cardinal ou la messe du pape n’ont pas plus de valeur sacramentelle que la messe d’un simple prêtre. Saint Thomas explique que l’évêque n’a aucun pouvoir supérieur à celui du prêtre sur l’eucharistie, c’est-à-dire sur le Corps physique du Christ. Mais il souligne qu’il a, en revanche, un pouvoir supérieur sur le Corps mystique du Christ qui est l’Église. C’est ce que manifestent les rites pontificaux : l’évêque siège, comme docteur qui enseigne son peuple, sur son trône, son bâton pastoral en main, assisté de son clergé et au milieu de ses fidèles. En effet, il participe, sub Petro et cum Petro, à la sollicitude pour tout le troupeau du Christ de l’univers, mais il a reçu du Successeur de Pierre la charge spéciale d’une Église particulière, un diocèse généralement.




II - Quelques spécificités de la messe solennelle de l’évêque

a) Les vêtements et les insignes

En tout temps, sur l’habit de ville, sur l’habit de chœur ou pour célébrer la messe, l’évêque porte une croix pectorale sur la poitrine, qui fut jadis propre aux évêques.

Outre les ornements que revêt le simple prêtre pour dire la messe (l’amict, qui est le « casque du salut » ; l’aube blanche de la pureté ; la ceinture de la chasteté ; l’étole, « joug du Seigneur » (3) ; le manipule des bonnes œuvres ; et la chasuble de la plénitude de la charité), l’évêque prend aussi :
- sous la chasuble, deux légers vêtements de soie : une tunicelle (la tunique est le vêtement du sous-diacre) et une dalmaticelle (la dalmatique est le vêtement du diacre), qui marquent la plénitude de son sacerdoce par tous les ordres qu’il confère aux clercs ;
- aux mains, durant une partie de la cérémonie, des gants, symbole de la prudence des œuvres, gants de la couleur propre à la messe célébrée ;
- au doigt, un anneau pastoral, qui est le signe de son mariage spirituel avec l’Église dont il a la charge ;
- aux pieds, des bas et des sandales de la couleur liturgique propre à la messe, pieds chaussés pour aller annoncer l’Évangile (Romains 5, 15) ;
- sur la tête, une mitre, plus ou moins ornée selon la cérémonie ou le moment de la cérémonie, laquelle avec ses deux cornes, l’une en avant et l’autre en arrière, désigne la science de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament que doit exprimer le pontife ;
- dans la main gauche, une crosse ou bâton pastoral, qui comme la verge d’Aaron et celle de Moïse, signifie son pouvoir exercé au nom de Dieu (4).

b) Les ministres qui entourent l’évêque 

> Les ministres supérieurs

Pour comprendre ce que représentent les ministres principaux qui entourent l’évêque, il faut savoir que le chapitre d’une cathédrale, comme le collège des cardinaux, pouvait jadis être divisé en plusieurs ordres, dont les membres, durant la messe pontificale, étaient revêtus d’ornements propres dans leurs stalles (ce fut le cas jusqu’à la réforme conciliaire dans plusieurs cathédrales d’Italie) : les chanoines sous-diacres, de la tunique ; les chanoines diacres, de la dalmatique ; les chanoines prêtres, de la chasuble ; les « dignités », de la chape (sinon, tous les chanoines pouvaient être en chape).

Les ministres principaux de l’évêque lors de la messe pontificale sont certains de ces clercs parés qui viennent servir l’évêque au trône et à l’autel : le plus élevé en dignité, comme prêtre assistant, est revêtu de la chape ; deux autres l’entourent comme diacres assistants. Deux autres, en outre, comme lors d’une messe solennelle ordinaire, remplissent les fonctions de diacre (dit « diacre de l’évangile ») et de sous-diacre.

> Les ministres inférieurs :

Sept autres clercs inférieurs (comme les sept acolytes de la messe papale antique), portent la crosse, la mitre, le livre, le bougeoir, les deux chandeliers de procession, et l’encensoir (un autre en outre, est chargé du grémial, tablier de soie que l’on met sur les genoux de l’évêque assis). Des familiers (domestiques) servent l’évêque, notamment pour lui laver les mains. Deux maîtres des cérémonies veillent au bon ordre du rituel.

c) Les cérémonies propres 

L’arrivée de l’évêque dans son église est celle du Père au milieu de son peuple. Cependant que les cloches en fête sonnent à la volée, le clergé vient à sa rencontre au moins à la porte de l’église, est béni par lui, l’escorte vers l’autel du Saint Sacrement où il prie un instant, puis vers la sacristie (où se trouve normalement une chapelle spécifique, le Secretarium) dans laquelle il revêtira les ornements préparés pour la messe (il arrive aussi qu'il s’habille au trône).

Lors de la messe solennelle, l’évêque reste à son siège (le trône ou le faldistoire) après les prières de la confession (les prières au bas de l’autel), de l’Introït au chant d’offertoire. C’est là qu’il lit les textes qu’interprètent les chantres, qu’il chante les oraisons, qu’il entonne le Gloria et le Credo, qu’il entend l’épître et l’évangile. C’est aussi sa place normale pour donner le sermon (à moins qu’on ne mette un fauteuil sur le marchepied de l’autel), qu’il prononce assis, dans l’attitude traditionnelle du docteur qui enseigne (tel Jésus enfant, assis au milieu des docteurs du Temple, Luc, 2, 46).

Comme le Christ retrouvant ses disciples après la Résurrection, la première salutation de l’évêque n’est pas le Dominus vobiscum, mais : Pax vobis, « La paix soit avec vous » (Jean 20, 19, 21).

Enfin, le représentant du Seigneur, le pontife, fait tomber sur l’assistance une pluie de bénédictions : bénédictions silencieuses des clercs et des fidèles par des signes de croix répétés avec la main quand il arrive et qu’il sort du sanctuaire ; bénédictions de ses ministres qui l’encensent, lui lavent les mains, ou auprès desquels il passe ; triple signe de croix lors de la grande bénédiction chantée en mitre et crosse à la fin de la messe, ou plus rarement, de la bénédiction solennelle assortie d’indulgence donnée après le sermon.

d) Les visites de l’évêque au peuple de Dieu

Le modèle de référence de la messe solennelle en forme traditionnelle de l’évêque dans sa cathédrale est repris, avec quelques modifications ou simplifications, dans les autres messes pontificales, lorsque l’évêque n’est pas l’évêque du lieu, ou lorsque l’évêque du lieu célèbre dans une autre de ses églises, ou lorsque, de nos jours, on est parfois contrait de faire avec « les moyens du bord ».

Il faut cependant insister sur le fait que toute messe pontificale est toujours, en quelque sorte, la fête de l’Église : une communauté diocésaine, ou paroissiale, ou autre, retrouve en y participant sa pleine signification de portion de l’Église universelle rassemblée autour d’un Successeur des Apôtres, célébrant au milieu d’elle comme tel.

C’est pourquoi, même lorsqu’elles n’étaient pas assorties d’une messe pontificale, les visites de l’évêque dans son diocèse – un élément très important de sa charge épiscopale –, soit pour conférer le sacrement de confirmation, soit pour une « visite pastorale », soit pour toute autre raison festive, étaient toujours des occasions de grande festivité pour la communauté qui l’accueillait : réception par le clergé, procession, discours de magistraux municipaux, etc.


Prière du célébrant à l'autel du Saint-Sacrement à son arrivée. Ici, Mgr François Bacqué à Rome, lors du pèlerinage Summorum Pontificum 2014.


III - Une messe éminemment romaine

Aujourd’hui encore, et très spécialement dans le cadre de la liturgie traditionnelle en raison du témoignage qu’elle représente, on est dans ce registre éminemment festif. La messe pontificale a une signification ecclésiale toute particulière, parce que ce type de célébration représente le fruit d’une véritable « reconquête » liturgique, et aussi parce que la forme extraordinaire des rites pontificaux exprime avec une rare force la structure sacramentelle et hiérarchique de l’Église, aujourd’hui fort malmenée.Ce, d’autant plus que la messe solennelle de l’évêque est une messe particulièrement romaine.

Nous évoquions plus haut le livre contenant la description des cérémonies de l’évêque, le Cérémonial des Évêques. Celui qui était en usage en 1962, et qui fait donc loi pour la forme extraordinaire, est le Cérémonial des Évêques publié par Clément VIII à la suite du Concile de Trente en 1600 (sa dernière édition date de 1948). Il faut savoir que ce Cérémonial des Évêques tridentin a repris un livre des Cérémonies des cardinaux et des évêques dans leurs diocèses, qui était une adaptation pour les évêques du Cérémonial de la Sainte Église romaine, lequel régissait les cérémonies papales, et a continué à la régir jusqu’à la réforme de Paul VI. En cela, les liturgistes tridentins appliquaient ce principe liturgique immémorial consistant à s’inspirer au plus près possible des cérémonies du pape pour régler les cérémonies des évêques de l’univers latin.

Ainsi, la messe pontificale de l’évêque, image de la messe pontificale du pape, montre-t-elle de manière particulièrement sensible que l’Église est une communion où toutes les parties procèdent de l’Église universelle, en même temps que chaque partie représente et fait vivre hic et nunc l’Église universelle. Le P. de Lubac, s’appuyant sur le fait que l’effet sacramentel de l’eucharistie est l’union au Corps mystique, développait ce thème : l’Église fait l’Eucharistie et l’Eucharistie fait l’Église (Méditation sur l’Église, éditions du Cerf, 2003). Cela est particulièrement souligné par la célébration solennelle de l’eucharistie par l’évêque, tout spécialement dans la forme que l’on peut qualifier de pleine du fait de la capacité d’expression théologique et spirituelle qui est la sienne, à savoir dans la forme extraordinaire de la messe pontificale.

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(1) Mais aussi d’un cardinal, ou encore l’archevêque dans sa province.
(2) Il existe désormais une traduction du Cérémonial des Évêques : Cérémonial des Évêques du Concile de Trente à Vatican II, texte latin et traduction, Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre/Hora Decima, 2006.
(3) Cependant, si l’étole du prêtre est croisée sur sa poitrine (c’est l’évêque qui l’a croisée le jour de son ordination) pour montrer la ligature de l’obéissance, l’évêque porte la sienne non croisée.
(4) On l’a dit : si le prélat n’était pas sur son territoire, il n’aurait pas droit à la crosse (ni au trône, aux diacres assistants, à la cappa, le manteau solennel), sauf si l’évêque du lieu lui permet d’en user. Les archevêques ont droit à des insignes particuliers (la croix archiépiscopale ; le pallium, une étole de laine blanche bénie par le pape).


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