Notre lettre 682 publiée le 12 février 2019
SITUATION DE LA LITURGIE TRADITIONNELLE DANS LE MONDE A LA FIN DE L’ANNÉE 2018 (Seconde partie) : LES PRÊTRES
Dans notre lettre 678, publiée le 15 janvier 2019, nous avons présenté la situation de la messe traditionnelle dans le monde. Après avoir survolé les pays de la planète ou était célébrée régulièrement la messe traditionnelle et constaté que celle-ci était désormais présente dans plus de 80 pays – sans compter les régions dépendantes d’une métropole comme la Martinique ou la nouvelle Calédonie pour la France ou Porto-Rico pour les USA – nous abordons aujourd’hui le second volet de notre enquête 2018 en nous penchant sur le nombre de prêtres qui célèbrent la messe traditionnelle dans le monde, toujours en interrogeant Christian Marquant, qui avait présenté ses réflexions à la 5ème journée Summorum Pontificum, à Rome le 29 octobre 2018.
Q-Avons-nous une idée du nombre de prêtres qui célèbrent la messe traditionnelle dans le monde ?
Christian Marquant - C’est un sujet encore plus difficile à traiter que celui des lieux où est célébrée la messe traditionnelle même si l’on ne considère que les prêtres qui sont associés à des instituts traditionnels. En outre, nous ne disposons pour cette enquête que de statistiques souvent flottantes ou incomplètes et d’informations très superficielle à propos des prêtres diocésains, qui généralement ne souhaitent pas faire publicité de leur attachement à l’usus antiquior. C’est pourquoi, comme je l’ai fait pour le premier volet de cette enquête je remercie par avance tous ceux qui nous aideront à corriger et améliorer nos informations
Q - Mais l’on dispose de données assez précises concernant la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X ?
Christian Marquant -En effet, c’est une institution qui publie des statistiques assez précises (1). Selon celles-ci, les prêtres attachés à la FSSPX seraient d’environ 660 à la fin de l’année 2018. Il est cependant plus difficile d’apprécier le nombre de prêtres appartenant aux groupes religieux rattachés à la FSSPX comme les capucins de Morgon, les bénédictins de Bellaigue, la Fraternité de la Transfiguration et de nombreux autres, dont nous connaissons l’existence mais pas toujours le nombre de prêtres qui s’y trouvent. On peut avancer prudemment le chiffre total de 50 prêtres « alliés » de la FSSPX. Mais à ce groupe d’environ 710 prêtres, il faut joindre les prêtres dits de la « Résistance » qui, bien qu’ils n’appartiennent plus à la FSSPX gravitent encore dans le même univers. Pour ce groupe le chiffre de 50 prêtres parait raisonnable. Aussi, peut-on sérieusement considérer que l’ensemble de ce groupe réunit actuellement environ 760 prêtres.
Q - Et pour les communautés que l’on appelle encore Ecclesia Dei ?
Christian Marquant -Là aussi certains éléments sont simples à connaitre ; d’autres le sont moins. En effet, si les grands instituts Ecclesia Dei donnent volontiers des chiffres, il existe de plus petits groupes pour lesquels les données sont plus difficiles à connaître.
Ainsi, l’on sait que la Fraternité Saint-Pierre réunissait un peu plus 300 prêtres à la fin 2018, que l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre en comptait 112, que l’Institut du Bon Pasteur en avait 45 et que l’Administration Saint-Jean Marie Vianney en compte 35. Cela donne un premier total d’environ 500 prêtres. Si le reste des prêtres de la nébuleuse ED étaient une centaine, chiffre que je considère comme sérieux, nous aurions donc un total d’environ 600 prêtres pour cette mouvance.
Q - Intégrez-vous les religieux traditionnels dans ce calcul ?
Les instituts Ecclesia Dei entrent en fait dans la catégorie des prêtres non séculiers, c’est-à-dire religieux. Mais votre question vise, je pense, les monastères notamment bénédictins attachés à la messe traditionnelle comme Fontgombault, Clear Creek ou Norcia (et bien d’autres !), qui sont de fondation antérieure à 1988 (ou qui sont responsables de communautés traditionnelles crées avant ou après cette date. Je pense à Riaumont ), et ont toujours été indépendants de l’ex-Commission ED, sauf pour le règlement de questions liturgiques. Il n’est pas déraisonnable d’estimer qu’ils réunissent environ 130 prêtres dans le monde.
Ainsi, la mouvance « officielle » regroupent les prêtres de communautés ED et religieux de liturgie traditionnelle, compterait environ 730 prêtres (600 ED + 130 religieux non ED ).
Q - Vous estimez-donc que l’ensemble du monde traditionnel réunirait plus de 1400 prêtres ?
Christian Marquant -Oui, si nous parlons toujours des prêtres appartenant à des instituts « spécialisés » dans la messe traditionnelle, et non des prêtres diocésains qui la célèbrent. Si donc, l’on ajoute les 760 prêtres du monde SPX et les 730 prêtres du monde traditionnel « officiel », on arrive à près de 1500 prêtres. Vous noterez que les deux « familles » traditionnelles réunissent aujourd’hui un nombre équivalent de prêtres.
Q - Y voyez-vous une signification ?
Christian Marquant -La signification la plus évidente est cette vitalité remarquable du monde traditionnel. Elle paraît même considérable, si on compare, au moins en Occident, la « fécondité » du monde extraordinaire à celle du monde ordinaire. « Fécondité » entendue ici comme le rapport entre le nombre de fidèles qui pratiquent telle liturgie et le nombre de prêtres qu’ils « engendrent » : En Occident, ce « taux de fécondité » est dramatiquement faible dans le forme ordinaire, alors qu’il est à peu près semblable aux chiffres d’avant le Concile dans la forme extraordinaire. En France, selon les évaluations les plus basses : 1% des lieux de cultes français sont voués au culte traditionnel ; le nombre des pratiquants est d’au moins 5% de l’ensemble des pratiquants, mais d’un âge moyen nettement plus bas que la moyenne ; et ils « enfantent » chaque année entre 15 à 20 % des prêtres assimilables à des prêtres diocésains (en 2107 : 22 ordinations sacerdotales pour la messe traditionnelle ; 84 pour la messe nouvelle).
On remarque aussi que la dynamique de la FSSPX ne s’est pas ralentie depuis 1988 – date de la création de la Commission ED et des premières érections d’instituts ED. Quant au développement des instituts ED et alii, il a cru sans discontinuer. Non seulement, donc, personne n’a souffert de la concurrence, mais tout s’est passé comme si le développement d’une « offre » plus variée avait accru la « demande », la manifestation des vocations. Vous me pardonnerez d’user de ces termes triviaux, s’agissant de cette réalité surnaturelle qu’est l’appel du Seigneur, mais celui-ci s’incarne, comme toutes les choses d’Eglise, dans une réalité d’ordre sociologique.
Q - Mais vous ne réduisez pas le nombre des prêtres attachés à la liturgie traditionnelle aux instituts « spécialisés » ?
Christian Marquant -Pas du tout. J’insiste au contraire sur ce fait : notre enquête montre qu’à côté des prêtres appartenant à des institutions traditionnelles, il existe un nombre considérable et en pleine croissance de prêtres diocésains ou religieux qui sont très attachés à la messe traditionnelle qu’ils connaissent et célèbrent.
Q - Comment pouvez-vous appréhender numériquement cet univers ?
Christian Marquant -Nous sommes là au cœur de la difficulté de notre recherche mais il n’est pas impossible d’y voir clair à défaut d’y voir avec précision. Nous avons plusieurs pistes croisées pour le tenter :
A – Les célébrants de messes Summorum Pontificum dans les diocèses ;
B – Les prêtres membres des associations sacerdotales ;
C – Les prêtres qui ont appris à célébrer la messe traditionnelle ;
D – Les nombreux contacts sur le terrain qu’a noués Paix liturgique.
Q - Qu’appelez-vous les célébrants de messes Summorum Pontificum ?
Christian Marquant -Le plus grand nombre des messes célébrées en vertu du motu proprio Summorum Pontificum selon l’usus antiquior ne le sont pas par des prêtres Ecclesia Dei mais par des prêtres diocésains ou par des religieux qui n’appartiennent pas à des instituts traditionnels.
A titre d’exemple, je vous renvoie à notre entretien avec Marco Sgroi (notre lettre 680, publiée le 29 janvier 2018), qui indique précisément qu’en Italie 83 % des messes SP sont célébrées par des diocésains, ce qui en dit long sur la face cachée de la tradition. Or, comme l’indique très justement Marco Sgroi, si dans un premier temps nombreux furent les prêtres en charge de ces célébrations qui ne le souhaitaient pas, voire même qui acceptèrent cette mission pour torpiller l’émergence de ces communautés de fidèles, cela n’est plus que marginal aujourd’hui : les prêtres qui disent la messe traditionnelle le font très volontiers.
Et ceci s’observe dans presque toutes les régions atteintes par le phénomène SP.
On peut estimer que ces prêtres sont plus de 200 en Italie, plus de 250 en France, plus de 150 en Angleterre, etc.
Q - Qu’entendez-vous par sociétés sacerdotales ?
Christian Marquant -Je pense, pour la France, à l’Opus sacerdotale, qui depuis très longtemps réunit des prêtres pour la plupart diocésains, en majorité attachés à la messe traditionnelle, qui profitent de cette appartenance pour se ressourcer dans cette esprit à l’occasion de retraites ou de sessions diverses. Je peux citer, en Italie, l’Amicizia Sacerdotale Summorum Pontificum.
Nos contacts avec ces associations, ou avec d’autres groupes plus discrets, nous fournissent un second indice du nombre de prêtres attachés, sur une région, à la messe traditionnelle même si il est évident que cette seconde piste recoupe largement la première.
Q - Vous évoquez également le cas des prêtres non traditionnels qui désirent apprendre à célébrer la messe traditionnelle ?
Christian Marquant -Oui, c’est un phénomène connu même si les maisons liées à la FSSPX ou au monde traditionnel « officiel », qui participent à ce mouvement, agissent en toute discrétion. Mais on sait que, depuis le motu proprio de 2007, plusieurs milliers de prêtres ont suivis ce type de formation. Nous connaissons aux Etats-Unis une maison qui déclare avoir enseigné la célébration de l’usus antiquior à plus de 1000 prêtres américains.
Q - Vous parlez aussi de vos contacts ?
Christian Marquant -Nous avons aussi des contacts directs avec des prêtres européens et des contacts indirects via nos amis étrangers. Je peux affirmer qu’il y a encore aujourd’hui de très nombreux prêtres qui ne sont pas libres d’afficher leur attachement à la messe traditionnelle dans leurs paroisses ou leurs diocèses. Ils craignent toujours des sanctions ou en tout cas des ennuis divers. Il y a ainsi un nombre non négligeable de prêtres « dissidents », si je peux employer cette analogie forte, dont les confrères qui les entourent ignorent leurs préférences liturgiques qu’ils vivent parfois en cachette !
Q - Parvenez-vous à faire une synthèse à partir de ces diverses pistes de recherche ?
Christian Marquant -C’est difficile. Je vais me borner à vous donner un chiffre, a minima, de 3000 prêtres qui dans le monde sont attachés à l’usus antiquior, même si je pense qu’ils sont plus de 5000. Notre « Bilan 2019 » que nous publierons en décembre prochain le démontrera sans aucun doute.
Q - Ce chiffre de 3000 est déjà très important !
Christian Marquant -J’avance ces chiffres avec prudence. Une chose est certaine : si le monde sacerdotal traditionnel organisé est un élément essentiel pour l’existence de la liturgie traditionnelle, celui des prêtres séculiers et religieux, qu’ils soient visiblement ou non attachés à l’usus antiquior, représente déjà un groupe considérable, au moins deux fois plus important que celui parfaitement quantifiable dans les univers SPX et ED. Ces derniers ont été et sont encore les mainteneurs de la liturgie tridentine. Les autres représentent son avenir, dans la perspective d’un relèvement de l’Eglise, lorsqu’elle sortira de la crise qui l’afflige.
Q - Mais que représentent ces prêtres par rapport à l’ensemble des prêtres de l’Eglise ?
Christian Marquant -Les dernières statistiques du nombre de prêtres catholique qui nous ont été données par l’Office des statistiques du Vatican en 2018 (2) concernent l’année 2016. Le chiffre révèle que l’ensemble des prêtres catholiques latins ou orientaux est de 414 467. Nos 4 500 prêtres attachés à la messe traditionnelle ( 1500 prêtres « Tradis » auxquels s’ajoutent les 3000 « Diocésains et réguliers » ) représentent donc au moins 1,1 % du clergé catholique mondial (ou plus, si on ne considérait que les prêtres latins, puisqu’il s’agit de liturgie latine, et si on ne considérait que les prêtres actifs) qui pourrait être resté ou redevenu tridentin, ce qui est loin d’être ridicule si l’on considère que cette identité a été longtemps interdite et reste largement persécutée. Et pourtant, elle est en croissance…
(1) http://laportelatine.org/quisommesnous/statistiques/stat.php
( 2 ) Annuaire statistique de l’Eglise 2016 , Libreria Editrice Vaticana , 2018 – Voir la page 80