Notre lettre 794 publiée le 26 avril 2021
LE SEDEVACANTISME ET LE MONDE DES INDEPENDANTS AUX ETATS-UNIS
SEPTIEME VOLET DE NOTRE ENQUETE SUR LA TRADITION CATHOLIQUE AUX USA
Ayant traité dans les six premières lettres de notre enquête du catholicisme aux États-Unis et spécialement du catholicisme traditionnel, il nous a paru important de donner également une information objective à nos lecteurs sur une mouvance qui, aux États-Unis, a une surface notable, celle des sédévacantistes. Un commentateur averti de l’intérieur, l’abbé Anthony Cekada, a pu écrire en 2008, qu’en « France, la présence sédévacantiste sur la scène traditionaliste est minuscule […] En Amérique, ça n’est pas le cas » ( « The Nine vs. Lefebvre: We Resist You to Your Face », dans Tradional Mass Magazine, 29 Septembre 2008).
En outre, les réponses de notre ami Daniel Hamiche feront apparaître aussi un phénomène très important numériquement aux États-Unis, qui n’est pas connu en France à cette échelle, celui des prêtres (et parfois évêques) traditionalistes indépendants.
Paix Liturgique – Cher Daniel, voudriez-vous nous rappeler ce que sont les sédévacantistes ?
Daniel Hamiche – Les sédévacantistes considèrent que le siège romain (en latin sedes) est actuellement vacant (vacans). Dans cette optique, pour eux, Jorge Bergoglio n’exerce pas la fonction pontificale. Ils reconnaissent les papes jusqu’à Pie XII inclusivement. Pour un certain nombre d’entre eux, Jean XXIII, pour des raisons diverses (hérésies, appartenance à la franc-maçonnerie, …), était inéligible au pontificat et donc son élection était viciée par la matière, ou encore il déchut de sa fonction le jour où il convoqua Vatican II. D’autres acceptent le pontificat de Jean XXIII, et estiment que c’est Paul VI qui a déchu en promulguant les documents de Vatican II et la nouvelle messe. Enfin, pour certains qui tiennent la thèse dite « de Cassiciacum », élaborée par Mgr Guérard des Lauriers, les papes depuis Paul VI sont matériellement, et non formellement, papes. Aux États-Unis, on parle dans ce cas de « sédéprivationnisme ». Au total, pour le gros des fidèles de cette mouvance, l’Église du Christ n’a pas eu de pape les dernières décennies.
Paix Liturgique – On dit que les sédévacantistes américains ont beaucoup d’évêques.
Daniel Hamiche – Ils ont en effet des évêques. On pourrait même dire qu’ils en ont trop, et c’est leur grande faiblesse.
Paix Liturgique – Pourquoi est-ce une faiblesse ?
Daniel Hamiche – Elle provient de l'origine de leurs évêques...D’après le droit canonique de l’Église les évêques, pour en sacrer de nouveaux, doivent-être munis d’un mandat du Saint-Siège. Cependant, dans des circonstances exceptionnelles, des évêques ont été amenés à consacrer de nouveaux évêques sans mandat pour tenir compte de ces circonstances. Cela se produisit plusieurs fois dans les pays de l’Est sous domination soviétique et en Chine communiste, alors que l’Église était persécutée et qu’il existait un risque de se trouver sans possibilité d’ordonner de futurs prêtres. C’est en invoquant cet état de nécessité que Mgr Lefebvre lui-même consacra en 1988 quatre évêques sans mandats. Mais à côté de ces cas bien compréhensibles il se trouva dans l’église quelques cas plus difficiles à justifier, par exemple celui de Mgr Pierre Martin Ngô Ðình Thuc (1897-1984), ancien évêque de Hué, frère du président vietnamien Jean-Baptiste Ngô Ðình Diêm, réfugié à Toulon après l’assassinat de ce dernier qui consacra le P. Guérard des Lauriers, dominicain, le 7 mai 1981, et, le 17 octobre 1981, les PP. mexicains Mosé Carmora, curé d’Acapulco, et Adolfo Zamora, religieux de la Merci, cela les théologiens ont pu le justifier et le comprendre en revanche Mgr Thuc avait aussi consacré en 1976 dans des circonstances plus difficiles à comprendre les évêques de l’« Église parallèle » (nom que les sociologues donnent aux sectes issues du catholicisme) de Palmar de Troya, près de Séville (secte où les évêques pullulent et qui a même son pape), et aussi, après cette date, y compris après les consécrations sédévacantistes, il a ordonné de nombreux prêtres et évêques d’autres « Églises parallèles » Encore Mgr Thuc était-il évêque catholique, mais c’est un évêque qui tenait son épiscopat de l’Église vieille-catholique, Mgr Brown, qui consacra Mgr Schuckardt, dont je vous parlerai, qui a lui-même consacré deux évêques avant de mourir.
Echappe à cette origine, la SSPV, dont je parlerai plus tard si vous le voulez, qui est d’une typologie assez proche de celle de la « Résistance » de Mgr Williamson, dont l’épiscopat vient de la consécration, le 19 octobre 1993, de l’abbé Kelly par Mgr Alfredo Méndez-Gonzalez, évêque émérite de Porto-Rico, sauf que cette consécration s’est faite en catimini, l’origine épiscopale de Mgr Kelly n’ayant été révélée qu’après la mort de Mgr Méndez et sans que celui-ci ait présenté une justification théologique.Cela nous amène à évoquer l’autre faiblesse de ces groupes qui est une excessive multiplication de leurs épiscopats, forcément incontrôlée faute d’une autorité ecclésiale pour la réguler.
Paix Liturgique – Tous ont des évêques ?
Daniel Hamiche – Quand ils n’en ont pas, la vie est plus difficile. Ainsi, le monastère bénédictin sédévacantiste Most Holy Family, à Berlin dans le New Jersey, s’est passé de tout épiscopat de ce type. Mais du coup, après une certaine notoriété (on y organisait des colloques) il est passé de dix à trois religieux et déménagea à Fillmore (État de New York). Il doit sa renommée actuelle à son site internet. Ce petit groupe reçoit les sacrements d’un prêtre byzantin uniate mais faute d’évêques leur assurant les ordinations ils pourraient bien disparaitre.
Paix Liturgique – Comment s’organise cette mouvance sédévacantiste américaine ?
Daniel Hamiche – On dénombre deux organisations sédévacantistes principales aux États-Unis : la Congrégation de Marie, Reine Immaculée (CMRI), et la Société Saint Pie V (SSPV) (les mauvaises langues disent que celle-ci va bientôt accoucher d’un groupe dissident, la SSP2½…)J’ajoute que les passages d’une organisation à l’autre se sont produits. Il y a eu aussi des défections en provenance ou en direction des communautés et instituts traditionalistes non-sédévacantistes. En fait, le sédévacantisme américain étant une affaire de personnalités cléricales, la distinction entre histoire et biographie est parfois difficile.
Paix Liturgique – On parle beaucoup de la Congrégation de Marie Reine Immaculée. Quelle est-elle ?
Daniel Hamiche – C’est l’aînée de ces organisations. La fondation de la CMRI (la Congrégation de Marie Reine Immaculée) remonte à 1968, à Cœur d’Alène, dans l’Idaho (devenu depuis une sorte de sanctuaire traditionaliste toutes tendances confondues), sous le titre de « Fatima Crusade » (croisade de Fatima).
Le fondateur est un laïc, ancien de l’Armée bleue (Apostolat mondial de Fatima), qui en fut exclu pour son discours anti-Vatican II en 1967. C’est Francis Schuckardt, un personnage hors du commun et qui s’est avéré par la suite être assez sulfureux. Il attira un petit nombre de Pères jésuites et de prêtres diocésains pour assurer les sacrements de ceux qui le suivaient. Bientôt, Schuckardt se laissa convaincre par Mgr Brown, lui-même consacré évêque dans la lignée vieille-catholique (dont il se distancia sur-le-champ), de recevoir les ordres : on procéda à l’ordination sacerdotale et au sacre épiscopal coup sur coup, les 29 octobre et 1er novembre 1971.
Il rebaptisa alors son organisation « Église Catholique de Rit Latin Tridentin » (Tridentine Latin Rite Catholic Church –TLRCC). Passé ce cap il se permit d’appeler Rome « l’Église de la Bête » et Paul VI « cet hérésiarque ». Ses harangues, qui attiraient des foules de loin (des familles entières s’implantaient dans le voisinage pour le suivre), prirent une teneur apocalyptique : le Concile était un complot du diable préparant la voie à un nouvel ordre mondial athée. Le salut résidait exclusivement au sein de la TLRCC.
Paix Liturgique – Et ensuite ?
Daniel Hamiche – Mgr Schuckardt ordonna à son tour une demi-douzaine de prêtres entre 1974 et 1979 ; son organisation avait atteint une telle ampleur qu’il avait pu acquérir, en 1977, un ancien séminaire jésuite (« Mont Saint-Michel » près de Spokane, dans l’État de Washington, donc non loin de Cœur d’Alène) situé sur une propriété de 297 hectares, où il transféra la communauté 1978. En 1981, Mgr Schuckardt se retrouva à la tête de 120 religieuses, 6 prêtres en activité, 61 clercs et frères, une école allant de la maternelle à la terminale, et plusieurs hospices…
Paix Liturgique – Ce succès a-t-il perduré ?
Daniel Hamiche – En fait, en 1984 une rupture se produisit au sein du groupe et l’abbé Chicoine, compagnon de la première heure, chassa Schuckardt, l’accablant d’accusations (harcèlement homosexuel, toxicomanie, incompétence financière…). Le fondateur se replia sur la Californie avec une vingtaine de fidèles et 250.000 dollars alors que son accusateur, qu’il avait excommunié mais qui tenait la place, conserva la majorité de l’organisation et en fit le « Latin Rite Catholic Church » (LRCC), le 14 juin 1984.
Dès lors la presse régionale publia les horreurs qui se seraient produites sous la houlette de Mgr Schuckardt. Celui-ci continua de guider tel ou tel groupe tout le long de la côte Ouest des États-Unis. En 1997 il était à la tête des « Oblats de Marie Immaculée » ; en 2005 il avait encore une centaine de fidèles dans la région de Seattle. Il est décédé en 2006, non sans avoir consacré deux de ses collaborateurs, et il repose dans un cimetière privé non-catholique à Bellevue dans l’État de Washington.
Paix Liturgique – Et les partisans de l’abbé Chicoine ?
Daniel Hamiche – Trois de leurs quatre prêtres restants furent réordonnés sous condition par un évêque indépendant de la lignée Thuc, Mgr Musey op. En juillet 1986, lors d’un chapitre général tenu au séminaire Mont Saint-Michel, les premières Constitutions de la CMRI et une règle furent établies et reçurent l’approbation d’un autre évêque de la lignée Thuc, Mgr McKenna (lui-même consacré par Mgr Guérard des Lauriers et comme lui tenant de la thèse de Cassiciacum.
Mgr Moises Carmona Rivera (consacré par Mgr Thuc en 1981), chef de l’organisation traditionaliste mexicaine Trento, demanda aux douze prêtres de la CMRI de désigner l’un des leurs pour la consécration épiscopale. L’honneur en revint à l’abbé Pivarunas (ordonné par Mgr Musey en 1985), américain d’origine lithuanienne, que Mgr Carmona Rivera consacra en 1991.
Paix Liturgique – C’était un nouveau départ pour la Congrégation de Marie Reine Immaculée ?
Daniel Hamiche – C’est cela. Mgr Pivarunas la dirige d’ailleurs toujours depuis la maison généralice implantée à Omaha (État du Nebraska), où se trouve aussi le séminaire CMRI. Mgr Pivarunas consacra l’abbé Dolan (un ancien de la FSSPX, dont je reparlerai si vous le voulez) en 1993 et depuis tous deux se sont révélés des administrateurs capables dont le zèle missionnaire et pastoral a non seulement ramené la paix mais a aussi effectué une croissance somme toute remarquable.
Paix Liturgique – La CMRI, combien de divisions ?
Daniel Hamiche – La CMRI a 50 chapelles dans 32 États américains, sans compter les implantations dans neuf pays d’Europe (dont quatre en France), dix écoles primaires, six lycées, un petit séminaire, un grand séminaire (à Omaha), et six couvents de religieuses.
En liturgie la CMRI s’en tient intégralement à l’état Pie XII, c’est-à-dire aux rubriques d’avant Jean XXIII (excluant donc les modifications intervenues en 1960-62), mais en gardant la Semaine Sainte de 1956 (quoiqu’ici comme ailleurs, les choses bougent sur ce point). Pour elle, le siège de Pierre est vacant depuis au moins Paul VI, puisqu’il promulgua les erreurs de Vatican II, au premier rang desquelles se trouvent la liberté religieuse et l’œcuménisme.
Paix Liturgique – Et la Société Saint Pie V ?
Daniel Hamiche – C’est l’organisation cadette du sédévacantisme aux États-Unis. La Société Saint Pie V (SSPV) fut fondée en 1983 par neuf prêtres issus de la FSSPX, tous du district Est des États-Unis : Clarence Kelly (à l’époque supérieur du district), Donald J. Sanborn (recteur du séminaire FSSPX), Daniel L. Dolan (directeur des missions du district), Anthony Cekada (économe de district), William W. Jenkins (professeur de séminaire), Joseph F. Collins (professeur de séminaire), Eugene R. Berry, Thomas Zapp (professeur de collège Sainte Mary’s au Kansas) et Martin Skierka.
Leur meneur était l’abbé Clarence Kelly, sur lequel je reviendrai. J’ai déjà évoqué l’abbé Dolan. L’abbé Cekada est devenu par ses écrits la tête pensante des sédévacantistes (et même, deux de ses ouvrages sur la liturgie ont eu un public bien plus large que sa mouvance : The problems with the prayers of the modern Mass, Rockford, Illinois, TAN, 1991, et Work of human hands : a theological critique of the Mass of Paul VI, West Chester, Ohio, SGG Resources, 2015, sans compter sa traduction commentée du « Bref examen critique », West Chester, Ohio, Philothea Press, 2010, qui fait autorité dans les pays anglophones).
Paix Liturgique – Peut-on parler à leur propos d’un sédévacantisme plus « modéré » ?
Daniel Hamiche – L’abbé Cekada affirme que Mgr Dolan et lui ont toujours professé ouvertement le sédévacantisme dans la FSSPX, sans que cela inquiète Mgr Lefebvre, puisque, écrit-il, ce « n’était pas bien éloigné des sentiments que Mgr Lefebvre avait exprimés lui-même, ou n’en était que la conclusion logique ». S’ils furent exclus en avril 1983 de la FSSPX, ce n’était pas pour sédévacantisme, mais pour refus d’adopter le missel de 1962 de Jean XXIII, d’accepter les déclarations de nullité en matière matrimoniale des tribunaux « modernistes », et de collaborer avec un clergé ordonné selon le rite d’ordination nouveau (c’est-à-dire des diocésains ou religieux rejoignant la FSSPX sans se faire réordonner), à leurs yeux de validité au moins douteuse. La vérité est que les neuf, ou au moins leurs meneurs, n’étaient pas faits pour suivre aveuglément Mgr Lefebvre en pourparlers avec Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger.
Mais la SSPV n’était pas foncièrement sédévacantiste à ses débuts, et elle s’en tint longtemps à entretenir seulement des doutes sans s’arroger l’autorité de trancher, même s’il y avait des sédévacantistes convaincus parmi les fondateurs, notamment Dolan et Cekada – qui d’ailleurs finiront par quitter la SSPV pour collaborer avec la CMRI à cause des méthodes dictatoriales de l’abbé Kelly, et aussi du fait que la SSPV ne voulait pas demander une consécration épiscopale à Mgr Thuc (jugé sénile).
Paix Liturgique – Les neuf sont-ils partis avec les biens du district ?
Daniel Hamiche – Du district qu’ils disaient être leur district. Il y eut des batailles immobilières classiques dans ce type de ruptures auprès des tribunaux civils. La SSPV garda l’ancienne maison de district FSSPX à Oyster Bay dans l’État de Long Island, sur la côte Est.
Paix Liturgique – Mais ils n’avaient pas d’évêque ?
Daniel Hamiche – Et en outre l’abbé Dolan, qui quitta, comme je l’ai dit, la SSPV, avec l’abbé Cekada, en 1989, avec quelques 500 fidèles, pour rejoindre les CMRI en 1991, et y être consacré évêque fin novembre 1993.
L’annonce que cette consécration se préparait provoqua l’émoi dans la SSPV, d’autant que pour laquelle se posait la question de sa survivance. Mgr Alfredo Méndez González (1907-1995), évêque émérite d’Arcebido, dans le territoire Porto-Rico, accepta alors de consacrer évêque l’abbé Kelly. La consécration eut lieu le 19 octobre 1993, c’est-à-dire un mois et demi avant celle de Mgr Dolan.
Paix Liturgique – On peut parler d’une nouvelle lignée, celle de Mgr Méndez, pour la SSPV, à côté de celle de Mgr Thuc pour la CMRI ?
Daniel Hamiche – Et de la lignée Williamson-Lefebvre pour les « résistants », lesquels ne sont pas sédévacantistes. La consécration de Mgr Kelly remit la SSPV sur une assise beaucoup plus stable : l’hémorragie des fidèles vers la CMRI s’étancha.
En sus de Mgr Kelly, la SSPV eut ensuite deux autres évêques : Mgr Joseph Santay, consacré le 28 février 2007, et depuis tout récemment Mgr James Carroll, consacré le 27 décembre 2018.
À l’époque la SSPV– ou plutôt la Congrégation Saint-Pie V, CSPV, l’institut canonique qui donne au clergé de la SSPV un statut en conformité avec le canon 111 du code de droit canon de 1917 – comptait une dizaine de prêtres et deux frères. Elle possède 27 lieux de messe au États-Unis.
Paix Liturgique – Et les fameux indépendants ?
Daniel Hamiche – C’est une particularité des États-Unis. En plus de ces deux instituts, il y a aussi, en effet, nombre de prêtres sédévacantistes indépendants, ou non sédévacantistes, y compris une demi-douzaine d’évêques. Un certain nombre sont plus ou moins associés aux deux organismes susnommés. Il est très difficile de les appréhender faute de documents et de statistiques.
Je vous donnerai tout à l’heure des chiffres qui montrent que l’ensemble de ces indépendants représentent en fait le plus gros contingent de chapelles traditionalistes aux États-Unis.
Tous ne sont pas sédévacantistes. D’après l’Official Traditional Catholic Directory, sur les 215 lieux de messe indépendants, 121 sont desservis par des prêtres « indépendants » sans plus de précision ; 75 par des prêtres qui suivirent Mgr Williamson après son exclusion de la FSSPX en 2012, alias « Résistance catholique » dans ses différentes déclinaisons, ce qui recouvre les milieux et individus dans la mouvance de Mgr Lefebvre opposés aux accords envisagés entre Mgr Fellay et Rome ; enfin une poignée de religieux traditionalistes indépendants (Dominicains, Franciscains, Bénédictins, Carmes déchaux, Augustiniens…).
Paix Liturgique – Mgr Sanborn n’est-il pas un « indépendant » ?
Daniel Hamiche – Oui, un indépendant qui semble sédéprivationniste. Mgr Sanborn était peut-être le plus en vue parmi les « neuf », je l’ai dit, qui ont quitté la FSSPX en 1983 et qui fut consacré en 2002 des mains de Mgr Robert McKenna, op, (décédé en 2015) de la lignée Thuc. Mgr Sanborn avait été recteur du séminaire américain de la FSSPX de 1977 à sa défection, et il fonda le séminaire de la Très Sainte Trinité (« Most Holy Trinity Seminary »), séminaire sédévacantiste le plus important au monde, maintenant à Brooksville en Floride, dont il est le recteur à ce jour.
Le séminaire garde prudemment son indépendance par rapport à qui que ce soit ; le programme y semble rigoureux. Parmi les professeurs on trouve Mgr Sanborn lui-même, Mgr Selway (consacré par Mgr Sanborn le 22 février 2018), et les abbés Despósito, Friess et Cekada, tous indépendants. Le site du séminaire n’en divulgue pas les effectifs, mais la lettre aux amis et bienfaiteurs de février 2020 continue de solliciter des fonds pour l’acquisition d’un local plus vaste (une propriété intéressante dans le nord-est des États-Unis est visée), ce qui indique bien que les candidats ne font pas défaut. La liturgie du séminaire est celle d’avant les modifications intervenues sous Pie XII. Le corps professoral semble être sédéprivationniste.
Paix Liturgique – Pour finir cette présentation, pouvez-vous nous donner des chiffres permettant de comparer cette mouvance aux autres traditionalistes américains ?
Daniel Hamiche – Le décompte des lieux de messe « officiellement traditionnels » ( C’est-à-dire sans compter les paroisses bi-formaliste non-officielles) serait approximativement le suivant :
CMRI : 50 soit 7%
SSPV : 30 » » 4%
FSSPX : 106 » » 15%
Indépendants : 220 » » 30%
Instituts Ecclesia Dei et
Diocésains : 330 » » 44%
TOTAL : 736 » »100%
Vous voyez que la CMRI et la SSPV représentent, au total, 11% de l’ensemble des lieux de messe traditionnelle aux États-Unis. Mais vous voyez aussi l’importance (30%) des lieux de messe indépendants. C’est la raison pour laquelle je n’ai pu oublier de mentionner cette nébuleuse qui assiste spirituellement un nombre très important de fidèles.
Paix Liturgique – Mais croyez-vous que les fidèles suivent clairement les positions de leurs pasteurs que ceux-ci soient indépendants, sedevacantistes, résistants, lefebvristes ou ecclésidéistes ?
Daniel Hamiche – Tous ont une conviction liturgique profonde à propos de la valeur de la messe traditionnelle et des « trous » doctrinaux de la messe nouvelle. Et je suis pour ma part convaincu que les fidèles recherchent surtout en nos temps de confusion pardessus tout la messe et les sacrements, dont ils ont besoin pour nourrir leur foi et leur vie spirituelle. Ce qui n’autorise pas, bien sûr, à faire n’importe quoi. Mais, comme pendant de longues années les autorités religieuses leur ont refusé cette nourriture, ils se sont naturellement tournés vers ceux qui était en mesure de le faire sans s’intéresser beaucoup aux normes théologiques sous-jacentes – c’est sans doute un tort, mais tous n’avaient pas la capacité de le faire – pour en rester à ce qui à leur yeux était l’essentiel : la nécessité de pouvoir assister à la messe et d’avoir accès aux sacrements.
Paix Liturgique – Donc, cher Daniel, la responsabilité de ce chaos, de ce gâchis, est imputable en priorité aux pasteurs qui ont faillis à leur mission de pères ?
Daniel Hamiche – Tout à fait ! Je pense aussi qu’il appartiendra un jour, prochain je l’espère, à ces mêmes pasteurs de réparer le mal qu’ils ont fait en se montrant sourds, aveugles et malveillants aux attentes de leurs enfants. Je pense à la remise en ordre canonique qui s’est produite après la chute de l’URSS et des régimes satellites, où on a réintégré, quand c’était possible, prêtres et évêques consacrés clandestinement. Je dis cela toutes choses égales, car il n’y avait pas en l’espèce de responsabilité des pasteurs officiels, sauf peut-être celle de la servilité d’un certain nombre vis-à-vis des régimes communistes qui répugnait aux clandestins.
Paix Liturgique – Un détail vestimentaire, si vous permettez : les fidèles traditionalistes américains se distinguent visiblement, pour nous européens, par leur tenue, notamment celle des dames toujours en robe et la tête couverte.
Daniel Hamiche – C’est vrai, cela frappe les européens assistant à la messe traditionnelle aux États-Unis. On parle de Modesty. Cela est vrai dans toutes les mouvances y compris dans les chapelles Ecclesia Dei, Summorum Pontificum si vous préférez.