Notre lettre 884 publiée le 9 septembre 2022

MGR LAURENT ULRICH :
QUELLE STRATEGIE
ENVERS LES TRADITIONNALISTES PARISIENS ?


Les signaux donnés par le nouvel archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, sur le dossier de la liturgie traditionnelle, sont scrutés avec la plus grande attention par ceux qui y sont attachés. Ces signaux, pour l’instant, ne sont pas clairs.


Un prélat de gauche dans un diocèse « classique »


C’est un prélat réputé de gauche qui prend en charge un diocèse « classique ». Laurent Ulrich, ancien archevêque de Lille, arrive dans une Église profondément marquée par l’empreinte lustigérienne (le cardinal Lustiger, le cardinal Vingt-Trois, Mgr Aupetit), qui cultive son parisianisme : filière de formation des séminaristes propre, organisée à l’origine pour éviter d’envoyer les séminaristes parisiens au séminaire régional d’Issy-les-Moulineaux, alors réputé de gauche ; université catholique propre, l’École Notre-Dame, fondée pour faire pièce à l’Institut catholique de Paris, théologiquement progressiste ; clergé encore relativement jeune par rapport à la moyenne nationale, globalement classique, dont une part minoritaire mais visible est traditionnelle.

Comme nous le disions dans notre Lettre 860, du 26 avril 2022 (Paix Liturgique France), Mgr Ulrich doit désormais gérer l’héritage difficile que laisse Mgr Michel Aupetit. Il lui faudra restaurer la confiance avec ses subordonnés et son clergé (Michel Aupetit avait vu deux de ses vicaires généraux¸ Alexis Leproux et Benoist de Sinety, claquer la porte et démissionner à quatre mois d’intervalle, ce dernier étant justement parti dans le diocèse de Lille). Sans parler des fidèles : Mgr Aupetit avait frappé de tous côtés, à gauche en liquidant violemment la communauté progressiste de Saint-Merry, à droite en gérant sans aucun dialogue le renvoi du directeur du lycée Saint-Jean-de-Passy.

Sans doute les gros dossiers que Mgr Ulrich compte traiter durant son pontificat de quelques années (il a 71 ans) seront ceux de la restauration de Notre-Dame, et de la possible fusion, notamment pour des motifs financiers, des séminaires de Paris et d’Issy-les-Moulineaux, dont les séminaristes sont désormais de même sensibilité. Mais on peut estimer aussi qu’il aura à cœur de panser les plaies, et sera bienveillant et apaisant avec les diverses sensibilités de ses fidèles, dont une partie relativement conséquente est traditionnelle. Sauf que sa nomination a dû s’accompagner informellement d’une feuille de route, au sujet de laquelle les autorités romaines et leur représentant à Paris seront assurément très vigilants.

Sachant donc la difficulté de sa mission, le nouvel archevêque marche sur des œufs. Lors de sa première rencontre avec le presbyterium parisien, le 31 mai, dans la crypte de Saint-Honoré d’Eylau, il a glissé quelques signaux vers la « droite », confiant aux prêtres du diocèse qu’il avait entendu sa propre vocation au sacerdoce, étant enfant, à la maîtrise de la cathédrale de Dijon, dans le cadre d’une vie liturgique très belle, liturgie d’avant le Concile ; que son première poste de vicaire avait été auprès d’un saint homme de curé portant soutane ; et qu’il n’était pas de sensibilité progressiste.

Il a par ailleurs manifesté son intérêt pour le dossier traditionaliste en ne reconduisant pas Mgr Patrick Chauvet dans sa charge de superviseur de la liturgie traditionnelle : il assumera lui-même cette fonction. 

Mais le nouvel archevêque a aussi soufflé le froid en interdisant à la paroisse Sainte-Odile de louer ses locaux pour la tenue d’un colloque sur la messe traditionnelle, le 24 septembre. Et surtout,  dans un entretien donné à La Vie, le 13 juillet 2022 (« La joie est le meilleur antidote à la fermeture sur soi » - Laurent Ulrich : « La joie est le meilleur antidote à la fermeture sur soi » (lavie.fr), il a abordé la question des tensions provoquées par le motu proprio Traditionis Custodes dans les termes suivants : « Ce don [de l’eucharistie] a besoin d’être exprimé dans la fidélité avec ce que l’Église a vécu depuis 20 siècles, et la présence à un temps donné. Le pape appelle à ne plus entrer dans des querelles sur ce sujet et à s’émerveiller du don de Dieu, ensemble, pour lequel l’Église au concile Vatican II a été dans la fidélité à la tradition de l’Église. Ceci ne peut pas être remis en cause. L’Église des XXe et XXIe siècles est fidèle à l’eucharistie en ordonnant la manière de la célébrer aujourd’hui. Qu’il y ait des possibilités d’accéder graduellement à cela, des lieux où l’ancienne liturgie puisse être célébrée, doit permettre à ces communautés d’avancer progressivement vers l’expression unique de la liturgie, car l’Église manifeste son unité dans l’unité de sa ritualité. Cela passe par un travail de contact et de désir de se comprendre. Un travail synodal ».

En clair, c’est la ligne de Traditionis custodes que l’archevêque a choisi d’exposer fidèlement :

- L’Église du concile Vatican II a « ordonné » la manière de célébrer aujourd’hui, dans laquelle elle exprime son unité ;

- Il peut y avoir des lieux où est encore célébrée l’ancienne liturgie, mais ils sont destinés à permettre d’« accéder graduellement », à faire « avancer progressivement », les communautés concernées vers « l’expression unique de la liturgie ».

Il convient sans doute de ne pas trop dramatiser : ce dernier signal est aussi donné pour rassurer la sensibilité que représente La Vie, en même temps que Rome et le nonce apostolique, particulièrement attentifs sur ce dossier. Il reste que ce qu’a exprimé dans cet entretien Mgr Ulrich va dans le sens naturel de sa pensée.


La situation : l’absurde politique de Mgr Aupetit

 

Dans Paris intra muros, avant Traditionis custodes, 25 messes extraordinaires officielles ou non étaient célébrées tous les dimanches dans 11 lieux, l’église Saint-Eugène, l’église Saint-Roch, le Centre Saint-Paul, l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, l’église ND de la Consolation, la chapelle Notre-Dame-du-Lys, l’église Sainte-Jeanne de Chantal, l’église Sainte-Odile, l’église Notre Dame du Travail, et quelques autres chapelles.

L’église St-Nicolas-du-Chardonnet, bénéficiant de son attrait symbolique et de sa position d’église offrant tous les services paroissiaux. Avec ND de Consolation et d’autres chapelles, la FSSPX accueille chaque dimanche au minimum 4.000 fidèles. Les lieux officiels ou assimilés en accueillent environ 1.500. Il y a d’ailleurs une grande porosité des publics entre lieux « officiels » et ceux de la FSSPX. Elle pourrait même être plus importante encore, du fait que Traditionis custodes a ouvert un boulevard à la FSSPX pour qu’elle se fonde avec profit pour elle dans l’ensemble du monde traditionnel (notamment en proposant largement ses cérémonies de confirmations), tendance que freine malheureusement une certaine ossification des cadres français de cette communauté.

Au total, on peut dire que de 5.000 à 6.000 personnes environ assistent tous les dimanches à la messe en forme extraordinaire à Paris. C’est relativement important, surtout si on considère que la population de pratiquants considérée est nettement plus jeune en moyenne que celle des paroisses parisiennes, mais c’est en réalité peu par rapport à ce que cela pourrait être, puisqu’un tiers environ des pratiquants interrogés dans les sondages que nous avons réalisés assisteraient volontiers à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans leur propre paroisse et 47% de pratiquants mensuels passeraient à la forme extraordinaire si elle était offerte par leur paroisse (enquête Harris Interactive de janvier 2010, voir notre lettre 220, « Nouveau sondage de Paix liturgique : Paris un diocèse emblématique à plus d’un titre », Paix Liturgique France). Dans un contexte de totale liberté et d’intégration aux paroisses, le nombre de fidèles désireux de la forme extraordinaire à Paris pourrait être accru considérablement.

Mais c’est exactement le contraire que vise Traditionis custodes, dont le but est l’éradication violente d’une liturgie estimée dangereuse pour la foi des catholiques, parce qu’elle reflète la foi d’avant Vatican II. Mgr Aupetit a cru bon de répercuter cette violence dans son diocèse, assez pour être dans la ligne romaine, pas trop cependant pour ne pas provoquer une explosion de la marmite. Il a supprimé deux messes dominicales dans les lieux où l’assistance était la plus populaire : Notre-Dame du Travail et Saint-Georges-de-la Villette (où il a supprimé par le fait deux messes de semaine). Il a également supprimé la messe « branchée » du mercredi à Saint-François-Xavier, où assistaient de nombreux jeunes (qui se retrouvent désormais pour partie à ND-du-Lys, pour partie à Saint-Nicolas-du-Chardonnet), de même que les messes de Sainte-Clotilde. Il a en outre réservé le droit de célébrer les messes traditionnelles qu’il conservait (Saint-Roch, Saint-Eugène, Sainte-Odile, ND du Lys, Sainte-Jeanne de Chantal) uniquement à des prêtres bi-ritualistes diocésains expressément désignés par lui.

Ces injustices suprêmement maladroites ont déclenché des manifestations de protestation persistantes dans les lieux frappés, s’ajoutant à une manifestation « célébrée » tous les samedis de midi à 12h 45, devant la nonciature apostolique, avenue du Président-Wilson.


Un catholicisme en faillite


Incontestablement, l’attachement à la liturgie traditionnelle, comme le dit justement Traditionis custodes et plus récemment Desiderio desideravi, est l’expression d’une « différence » ecclésiologique. Plus largement d’ailleurs, si on ajoute au refus traditionaliste de la réforme liturgique le profond malaise vis-à-vis du catholicisme né du Concile que ressentent ceux que Yann Raison du Cleuziou nomme les « observants » (Une contre-révolution catholique. Aux origines de La Manif pour tous, Seuil, 2019), une fracture existe désormais dans l’Église, que rien ne parvient à résorber. C’est bien pourquoi les foudres romaines ne frappent pas seulement les traditionalistes, mais aussi ceux que le pape nomme les « restaurationnistes » : diocèses comme celui de Toulon, prélature de l’Opus Dei, communauté Saint-Martin. Cette fracture entre deux catholicismes est un fait massif, qui existe depuis le Concile, mais que ce pontificat a volontairement exacerbé. Certes, la tentative de libéralisation pacifiante de Benoît XVI, symbolisée par Summorum Pontificum, avait mis hors de lui le camp progressiste, mais la tentative inverse de François, symbolisée par Traditionis custodes, a été ressentie bien au-delà du monde traditionaliste comme une violence absurde, d’autant plus absurde que le catholicisme semble aujourd’hui en voie de disparition.

Dans cette peau de chagrin de l’institution ecclésiale qui va se rétrécissant, le poids des « observants » en général et des traditionalistes en particulier s’accroît en proportion, en raison de leur âge plus jeune et de leur capacité de transmission. Au contraire, ceux qui ont vécu le Concile comme un printemps sont eux-mêmes aujourd’hui à l’automne de leur vie et voient leur rangs se clairsemer plus que jamais, cependant que leurs enfants et petits-enfants ont tout simplement cessé d’être catholiques. Pour autant, ils ne cessent pas d’exercer leur pression morbide et demandent toujours une transformation radicale de l’institution (mariage des prêtres, sacerdoce des femmes, démocratisation) qui selon eux a bien trop tardé (Danièle Hervieu-Léger, Jean-Louis Schlegel, Vers l’implosion, Seuil, 2022).

Les traditionalistes, jadis méprisés comme minoritaires, sont désormais désignés comme l’obstacle principal à la rénovation de l’Église. C’est qu’en fait, soixante ans après Vatican II, leur présence est irréductible : la célébration de la messe traditionnelle et de tout ce qu’elle porte du point de vue catéchétique et du type des vocations, autrement dit de la transmission, n’ont cessé de s’étendre et l’on ne voit pas comment cela cesserait.

Ce nouvel équilibre des forces se fait sur fond d’une hémorragie continue des pratiquants « ordinaires », des pasteurs, des séminaristes. Le camp « conciliaire » persiste cependant dans la fuite en avant, tant il est difficile de renier un grand récit révolutionnaire, mais en y croyant de moins en moins. Ainsi, la promotion de la synodalité n’intéresse réellement que les derniers des militants, et elle ne changera rien à la déperdition continue, bien au contraire, puisqu’elle est un pas de plus dans le libéralisme.

Tout ceci est vrai à Paris, même si la concentration de population et le caractère plus classique du clergé peut faire illusion. En réalité, la grande masse des catholiques y est « bourgeoise » à tous les sens du terme : par exemple, elle met ses enfants dans les bons lycées catholiques de Paris non par conviction militante, mais pour des raisons de non-mixité sociale et d’assurance de réussite scolaire, la frange solidement catholique – celle des « observants  – y étant minoritaire. Au fond, à Paris comme ailleurs, le catholicisme qui vit encore et qui manifeste la capacité de continuer est réduit à un « petit troupeau », celui qui constituera le catholicisme de demain, mais en raison de la concentration de population il est plus visible qu’il n’est dans le catholicisme des provinces.


Quel choix pour Mgr Ulrich ? Le critère des confirmations


Deux lettres de demande de rendez-vous par des représentants de groupes de fidèles lésés ont été envoyées à l’archevêque, sans réponse pour l’instant. Un collectif est en train de se se constituer autour de l’association Sainte-Cécile. Tous ces groupes restent sous les armes et attendent spécialement de savoir comment sera réglée la question de la confirmation en forme traditionnelle.

En effet, aucune cérémonie de confirmation en forme traditionnelle n’a été organisée par le diocèse depuis l’été dernier. On ne pourra pas rester plus longtemps dans l’abstention : ou bien des confirmations traditionnelles seront conférées par l’archevêque de Paris ou par un prêtre délégué par lui, ou bien il y opposera un refus. De ce fait, il ne peut pas laisser en l’état la question de la liturgie traditionnelle.

A Lille, après une période de distance froide, Laurent Ulrich avait dégelé ses rapports avec l’ICRSP desservant les lieux où sont célébrées les messes traditionnelles. Lors de la survenance de Traditionis custodes, il avait voulu en réduire le nombre, mais en suite de négociations, dans lesquelles le P. de Sinety joua un rôle de facilitateur, Mgr Ulrich fit une déclaration pour dire que rien n’était changé. Et après de nouvelles négociations, il accepta, avant de quitter Lille, de conférer lui-même les confirmations dans le rite traditionnel.

À Paris, il devra donc choisir entre :

- Une attitude de répression larvée d’un ensemble de catholiques considérés comme des sous-catholiques : pas de confirmations, pas de rétablissement des messes supprimées, pas de permission aux prêtres du diocèse en faisant la demande de célébrer la messe traditionnelle, réduction du corps des célébrants à une liste établie par l’archevêque. Cette guerre qui ne dit pas son nom visant à les faire rentrer dans le rang. En pure perte.

- Ou bien une attitude de libéralisme pragmatique, en prenant le risque de donner, même de mauvais gré, à cette part très vivante des catholiques qui continuent à transmettre et à produire des vocations, la liberté qu’ils demandent, en attendant de voir.

Le nouvel archevêque de Paris peut donc rester dans une attitude de « guerre froide », ou bien essayer le « dégel ». Dans ce dernier cas, il pourrait bien avoir un coup d’avance sur l’inévitable relâchement de la « terreur » qui suivra le pontificat bergoglien. Les paris sont ouverts…

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