Notre lettre 1064 publiée le 9 juillet 2024

COMMENT LE CARDINAL PAROLIN PRÉPARE SON PONTIFICAT

OU LE PROGRAMME DU FUTUR JEAN XXIV



L’Église d’aujourd’hui, comme les sociétés libérales à la remorque desquelles elle s’est mise, se trouve, à force d’avoir gommé les rigueurs de son dogme et de sa morale, dans un grand vide. Mais il semble qu’il ne puisse y avoir de retour en arrière. Les successeurs de François ne peuvent qu’être des gardiens de son héritage, à savoir du Concile « achevé » avec Amoris lætitia et Traditionis custodes. Sauf remise en cause radicale, qui certes adviendra tôt ou tard, le successeur de François sera nécessairement bergoglien. Mais soit un bergoglien libéral, comme pourrait l’être par exemple le cardinal Aveline, archevêque de Marseille, soit un bergoglien rigoureux. Ce devrait être le cas de celui qu’on surnomme déjà… Jean XXIV.


Un homme du sérail progressiste

Bergoglien rigoureux c’est le qualificatif que l’on pourrait appliquer au cardinal Pietro Parolin, 69 ans, Secrétaire d’État aujourd’hui, demain… Car tout le monde sait à Rome que le deuxième personnage de l’Église tait fait campagne. Tout le monde, y compris le pape, qui n’hésite pas à le chambrer de manière quelque peu agacée.

Afin que nul n’ignore comment il voit l’avenir, le Secrétaire d’État a donné il y a trois mois, le 24 avril, une conférence dans l’ancien Collège Romain, aujourd’hui Ministère de la Culture d’Italie, à l’occasion de la présentation du livre d’un vaticaniste de la télévision italienne, Ignazio Ingrao, Cinque domande che agitano la Chiesa, « Cinq questions qui agitent l’Église ». Salle comble, présence de hauts prélats, notamment le vieux cardinal Re, cardinal-doyen, qui fut l’un des grands électeurs de François, mais plus que déçu depuis par son style de gouvernement, évidemment du ministre de la culture, de Préfets de Dicastères, d’ambassadeurs auprès du Saint-Siège, de journalistes guettant tout autant les réactions des illustres auditeurs que les paroles du conférencier.

C’est à la cinquième question du livre, « Que deviendront les réformes entreprises par le pape François ? », que le cardinal avait, comme par hasard, choisi de donner sa réponse. Même s’il a du mal à se départir d’une langue ecclésiastique assez pesante, son propos, où étaient glissés les mots de « discernement », de « patience », de « longue durée », que buvaient le cardinal-doyen, délivrait un message très clair : « Il n’y aura pas de retour en arrière ». Car lorsque les avancées sont voulues par le pape, guidé par l’Esprit Saint, il y a en somme effet de cliquet.

Telle est la pierre d’angle du projet de celui que beaucoup voient déjà en Pape Parolin : l’assurance qu’on ne reviendra pas, fût-ce à la marge, à l’état Benoît XVI du post-Concile. A fortiori à un état ante-conciliaire. Et ce, d’autant plus certainement que le style de gouvernement de celui qui se voit calife à la place du calife, bien plus apaisé que celui du Pape Bergoglio, évitera les risques de crises.

Originaire de Vénétie, Parolin est entré en diplomatie vaticane, alors que le cardinal Casaroli, l’homme de l’Ostpolitik, était Secrétaire d’État et qu’Achille Silvestrini, le chef de file, durant des décennies, de la Rome libérale, était Secrétaire des Relations avec les États (ministre des Affaires Étrangères). Sous la direction de Silvestrini, devenu son mentor, Parolin a rapidement acquis une grande connaissance des hautes sphères de la Curie, en même temps que des chancelleries du monde.

Après diverses nonciatures, il revint à Rome en 1992, alors que le cardinal Sodano était Secrétaire d’État, comme Sous-Secrétaire pour les relations avec les États, sous Jean-Louis Tauran, qui avait succédé à Silvestrini comme Secrétaire des relations avec les États. Mais lorsque le cardinal Bertone remplaça le cardinal Sodano comme Secrétaire d’État de Benoît XVI il expédia Parolin, en 2009, dans la plus difficile des nonciatures, celle du Venezuela de Chavez.

Exil qui ne se prolongea pas. Jorge Bergoglio devenu Pape, se laissa convaincre par les cardinaux Silvestrini et Tauran de rappeler à Rome, en août 2013, ce diplomate chevronné et de sensibilité libérale… pour remplacer le cardinal Bertone.


Un homme d’« ouverture »

Il ne faut jamais oublier que le Vatican est en Italie. La diplomatie pontificale cultive certes traditionnellement une « neutralité », autrement dit un certain recul, par rapport à l’atlantisme italien, mais celui-ci n’en est pas moins largement partagé par le Saint-Siège depuis Pie XII et plus encore depuis Jean-Paul II. À cet égard, l’antiaméricanisme du pape François rétablit un équilibre plus traditionnel, comme on a pu par exemple le voir dans les travaux d’exploration diplomatique pour une paix en Ukraine pour lesquels il a missionné le cardinal Matteo Zuppi, Président de la Conférence Épiscopale Italienne.

Parolin semble globalement – sauf pour sa politique chinoise – plus étasunien. Mais surtout pas trumpien. On a beaucoup glosé sur sa présence à la conférence de 2018 du groupe Bilderberg, qui s’était tenu à Turin. Ce groupe se compose d’une grosse centaine de personnes cooptées parmi les personnalités influentes de la diplomatie, des affaires, de la politique, des médias, et se veut aujourd’hui un relais efficace des idéologies mondialistes. La réunion à laquelle avait participé le Secrétaire d’État analysait la montée « préoccupante » des populismes.

De même, sur un thème d’« ouverture » cher aux mondialistes, Pietro Parolin avait longuement reçu le 5 avril 2019, une cinquantaine d’avocats, magistrats, politiques, représentant la crème des militants LGBT et réclamant la décriminalisation de l’homosexualité. Réception d’une grande puissance symbolique, au cours de laquelle le Secrétaire d’État leur avait déclaré que l’Église condamnait « toutes les violences contre les personnes ».

Mais il y a l’affaire du pacte avec la Chine, persécutrice du catholicisme et ennemi majeur des Etats-Unis. L’accord, dont le contenu n’a pas été rendu public, signé en 2018 pour deux ans, prorogé deux fois en 2020 et en 2022, va bientôt l’être à nouveau après un colloque organisé en mai dernier à Rome sur les relations de Rome avec la Chine avec Mgr Joseph Shen Bin, évêque « patriote » de Shanghai, et Zheng Xiaojun, la présidente de la Société religieuse chinoise, un organisme chargé de surveiller de près les activités des religions afin qu'elles ne s'écartent pas des lois du pays.

L’accord Parolin concède aux autorités chinoises la présentation des évêques à investir par Rome. En clair, le pacte en question accorde à des communistes toujours persécuteurs de l’Église la nomination des évêques. Certains, comme justement Mgr Joseph Shen Bin, ont été nommés unilatéralement par Pékin et confirmés en catastrophe par Rome. En vertu de cet accord ont été réintégrés dans la communion romaine les sept évêques « officiels » nommés, dont il s’est trouvé que deux étaient mariés. En outre, les évêques clandestins, non approuvés par les autorités communistes, étaient écartés du gouvernement des diocèses. Ceci a provoqué des critiques scandalisées, notamment celle du cardinal Zen, accusant Pietro Parolin, « homme de peu de foi », de « vendre l’Église catholique au gouvernement communiste » et invitant le coupable de cette « incroyable trahison » à démissionner. Mais aussi du cardinal Müller dans son livre En toute bonne foi. Le catholicisme et son avenir : « Avec le diable, on ne peut pas faire de pacte ».

Est-il cependant bien certain que cet accord avec la Chine soit un gros handicap pour empêcher Parolin d’apparaître en soutane blanche au balcon de Saint-Pierre ? Ou au contraire peut-il être expliqué au Sacré Collège comme donnant des atouts au Saint-Siège dans la recomposition des équilibres mondiaux ?


Les autres cartes d’un programme de recentrement

Autre paradoxe : le fait d’être devenu moins proche du pape pourra devenir un atout pour Pietro Parolin quand il faudra pourvoir à la succession de François, et que se produira nécessairement une réaction contre le despotisme sous lequel gémissent Curie et cardinaux. En effet, le cardinal Parolin s’est trouvé directement inquiété par la mise en lumière, en 2019, d’une transaction suspecte menée par la Secrétairerie d’État en 2012 : l’investissement de près de 200 millions d'euros dans un luxueux immeuble londonien grevé d’une hypothèque. Il avait été acquis à un prix très surévalué avec les fonds collectés par le Denier de Saint-Pierre, puis revendu à lourde perte. Situation relativement classique où des ecclésiastiques, se prenant pour des financiers chevronnés, s’avèrent extrêmement naïfs. La responsabilité majeure portait sur le premier collaborateur de Pietro Parolin, Angelo Becciu, devenu entretemps Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints, qui dut démissionner de sa charge, perdit tous les droits liés au cardinalat et fut déféré devant la justice vaticane avec d’autres hauts fonctionnaires romains Ces accusations de malversations ou de grosses imprudences ont fait que, fin 2020, la Secrétairerie d’État a été dépouillée par le pape de ses actifs et de son énorme portefeuille d’investissements. C’est au point que la Secrétairerie d’État, pour payer son personnel diplomatique, doit vendre des bijoux de famille : les nonciatures de Paris et de Vienne, pour commence, vont être vendues (Filippo di Giacomo, « La diplomazia vaticana deve fare cassa », La Repubblica, 28 juin 2024).

Même son état de santé incertain – Parolin a été soigné d’un cancer – est porté à son crédit : il compenserait son jeune âge (69 ans) pour des cardinaux électeurs qui veulent limiter les risques de leurs choix en cherchant des papables pour des règnes courts. L’âge du cardinal Bergoglio fut un des arguments qu’avançaient ses soutiens, lors du conclave de 2013...

Pietro Parolin se donne volontiers des airs de modération. S’il a sanctuarisé l’« ouverture » morale du pontificat bergoglien en faisant inscrire, le 7 juin 2017, aux Acta Apostolicae Sedis, au titre de « magistère authentique », la louange adressée par le Pape aux évêques argentins pour leur interprétation ultralibérale d’Amoris lætitia (en clair : l’interprétation la plus libérale d’AL est officiellement la bonne), il a été au contraire d’une très grande prudence en n’approuvant que du bout des lèvres Fiducia supplicans, document très clivant qui permet la bénédiction des couples homosexuels. Le 12 janvier 2024, à l’occasion bizarrement choisie d’une conférence tenue devant les scientifiques de l’Accademia dei Lincei à Rome, il a même pris du recul par rapport au document du Dicastère pour la Doctrine de la Foi : « Ce document a suscité de très vives réactions ; cela signifie qu’un point très délicat et très sensible a été touché ; il faudra une enquête plus approfondie". »

En comparaison des cardinaux les plus progressistes, Tagle, ancien archevêque de Manille, Préfet du Dicastère pour l’Évangélisation, et le jésuite Hollerich, archevêque de Luxembourg, Parolin représente un certain recentrage. N’a-t-on pas dit qu’au Synode sur la synodalité d’octobre dernier, il était intervenu pour « défendre la doctrine », sans que le contenu précis de son intervention n’ait été révélé, mais dont le thème était que la doctrine doit être placée au cœur de de la synodalité, autrement dit qu’il ne faut pas que la synodalité fasse exploser l’institution. On sait de même que, sans fermer les portes, il tient à marquer sa distance avec le grand n’importe quoi du Chemin synodal allemand. Car ce « réaliste » sait que la transaction entre progrès et conservation est le grand moyen par lequel l’Église postconciliaire a duré et peut continuer à durer.


La pierre d’achoppement de la messe ancienne

Mais il est un point sur lequel Parolin ne veut pas transiger, c’est celui de la liturgie traditionnelle, à la différence des bergogliens libéraux, que nous évoquions en commençant et qui pensent qu’on peut lui laisser une certaine liberté pour mieux la contrôler.

Le cardinal Parolin a joué un rôle-clé, comme Secrétaire d’État, dans l’élaboration de la lettre apostolique Traditionis custodes de 2021. On se souvient que le premier acte avait été l’enquête organisée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en date du 7 mars 2020, auprès des évêques du monde, destinée à dresser un bilan de l’application de Summorum Pontificum. Les résultats pouvaient certes être interprétés comme une approbation de Summorum Pontificum, mais c’est son abrogation qui était programmée. Lors des assemblées de la Congrégation qui en discutèrent, intervinrent des personnages très hostiles à l’usus antiquior, comme le cardinal Stella, alors Préfet de la Congrégation pour le Clergé, le très virulent cardinal Ouellet, qui était Préfet de la Congrégation pour les Évêques, et le cardinal Versaldi, alors Préfet de la Congrégation pour Éducation catholique (en charge des séminaires). Mais le cardinal Parolin se montra particulièrement déterminé et aurait notamment dit lors d’une de ces séances, jouant sur l’appellation de messe de toujours de la messe tridentine : « Nous devons mettre fin à cette messe pour toujours !»

Pour lui, comme pour le nonce en France Celestino Migliore, dont on dit qu’il deviendrait le Secrétaire d’État du Pape Parolin (voir notre Lettre 1059 du 27 juin 2024, Paix Liturgique France), l’axe de Traditionis custodes est essentiel à la sauvegarde de Vatican II. Il se résume en ceci : il n’y a qu’une seule lex orandi correspondant à la seule lex credendi, celle de Vatican II. Quelques tolérances provisoires et limitées sont possibles, mais en aucun cas une liberté parallèle et concurrente. Plus que toutes les autres réformes conciliaires, la réforme liturgique est irréversible.

La logique de cette intransigeance est au fond le désir de rejeter les partisans de la liturgie ancienne, et surtout les prêtres qui lui sont voués, vers les marges et, à terme, vers le schisme : « Qu’ils s’en aillent ! » Rigorisme idéologique qui ne tient pas compte du poids relatif de plus en plus grand que cette liturgie représente, entre autres par sa fécondité vocationnelle. De fait, dans les Églises occidentales, la liturgie traditionnelle est toujours plus visible. Or, la détermination de ce qu’est un schisme – on le savait bien aux époques anciennes – a aussi providentiellement quelque chose de relatif, où l’on finit par découvrir que l’excommunicateur est en fait le vrai excommunié. Dans le grand vide doctrinal qui est aujourd’hui celui de l’Église enseignante, de l’Église qui devrait enseigner, se heurter de front avec la messe d’avant, qui représente la doctrine d’avant, est assurément explosif.

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