Notre lettre 1129 publiée le 21 novembre 2024

MARTHE ROBIN,

OU LA TRISTE VIE

D’UNE ÂME BLESSÉE

UNE CHRONIQUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
QUI REVIENT
UNE FOIS ENCORE
SUR "l'AFFAIRE MARTHE ROBIN"




En 2020, la publication posthume des travaux du carme belge Conrad De Meester (1936/2019) sur Marthe Robin (1902/1981) avait déclenché, selon le mot de l’abbé de Tanouarn, « un tsunami » dans le milieu des zélateurs de la « Vénérable » (2014) de la Drôme. 

Expert lors de l’instruction de Postulation, et conduit, selon des travaux méthodiques que sa connaissance exhaustive du mysticisme féminin constituait en un corpus inégalé, le Père de Meester répondait à l’instance qui l’avait commis, et à elle seule.

La mission du carme se limitant à l’instruction du dossier de Postulation a conduit l’expert à produire un rapport particulièrement dissonant au regard de l’hagiographie (sancta subito ! ) bienséante. Les critiques argumentées de l’expert ont été de peu de poids, puisqu’en 2014 le pape François déclarait Marthe Robin Vénérable.

Tenu par le secret de l’instruction, l’expert resta silencieux. C’est son supérieur qui, ayant pris connaissance des constats qui auraient du être dirimants vis à vis de cette promotion, prit la responsabilité de publier les travaux du carme défunt sous le titre « la fraude mystique de Marthe Robin » aux éditions du Cerf (10/2020). Et, en toute justice, sous le nom de l’auteur.

Veut on un exemple de la doxa : « c’est en odeur de sainteté que meurt Marthe Robin en 1981 » reprend à propos la quatrième de couverture. La réalité est cruelle, hélas, pour ses fidèles.

Marthe Robin est retrouvée morte, à côté du lit oû sa « tétraplégie » la confinait, portant aux pieds (paralysés…) des chaussons sales, tandis qu’un bassin de selles sanglantes (et puantes) désignées médicalement sous le nom de méléna, caché sous l’armoire par des journaux, trahit une alimentation complémentaire de la seule Hostie dont elle excipe.

L’histoire sainte de Marthe, dont cette courte vignette n’est que le point d’orgue terrestre, sort de l’Histoire pour réintégrer la fiction dont elle n’est sortie que par un bien étrange aveuglement. Critiquer l’histoire sainte de Marthe Robin, n’était ce pas pêcher contre l’Esprit-Saint, et renoncer à tout pardon ? Eût il était vivant, le Père De Meester aurait dû rendre gorge. Mais l’action publique judiciaire s’arrêtant à la mort du « mis en examen », quelques « réponses à De Meester » d’ayant-droits de la nébuleuse Marthe Robin, (abbé Bernard Peyrous, abbé Pierre Vignon) répondirent à côté, reprenant à leur compte un double argument de pure forme : l’expert avait le devoir de taire ce qu’il avait constaté ; le contenu n’en a pas été retenu par la Postulation.

C’était sans compter sur le Supérieur du carme-expert, dont le souci de vérité prévalait sur toute autre considération. Or l’un des aspects les plus troublants de l’histoire sainte, c’est, chez cette mortifiée au corps ingérable, c’est le demi-siècle d’esquive médicale. Rivée à la ferme Robin, elle découragera tout bilan médical digne de ce nom. Si l’argent manque à la ferme, ce n’est plus un obstacle aux soins depuis que l’abbé Finet, en 1936, se laisse convaincre de se mettre au service de Marthe, puisque le Christ le veut, affirme-t-elle. En effet, le beau-frère de l’abbé, en la personne du Dr Ricard, dispose d’une clinique permettant bilan, soins adéquats et….surveillance. Si l’évêque de Valence, Mgr Pic, s’alignait sur le culte informel, quoique contagieux et bâtisseur de la « stigmatisée », son successeur, Mgr Marchand, installé en 1978, exige un bilan médical complet auquel il n’est plus possible de déroger. La date en est fixée à la semaine sainte 1981. Marthe Robin décède en février.

Si l’on fait sien l’aphorisme de Molière, selon lequel il n’est pas nécessaire de croire en la médecine pour faire son Salut, et quoiqu’aucune déclaration similaire ne fut proférée, ni écrite, ni dictée par Marthe, il est patent que cette mise à distance des soins, fût-ce pour son propre soulagement, est incompréhensible. Sauf à forger une identité sui generis, qui, capable de supporter « d’atroces souffrances », un handicap total, et susceptible de survivre à une privation alimentaire complète, à l’exception de deux hosties par semaine, fait de Marthe Robin un miracle permanent.

A l’histoire sainte de Marthe, Le Père De Meester a opposé une critique méthodique, à laquelle Joachim Bouflet, autre grand expert des âmes mystiques, a apporté son suffrage convergent en 2023, dans son livre « le verdict ». Bouflet à lu De Meester, et s’interroge : Si Marthe n’est pas ce que l’on dit d’elle, aurait-elle laissé dire plus que de raison, que penser de la vie mentale de celle a qui fait bon ménage des plagiats mystiques, d’un handicap fictif, d’une mobilité perçue par des témoins, d’une alimentation trahie, notamment, par l’absence d’escarres de décubitus, bref, celle de la duplicité. Laquelle ne l’empêche pas d’être, à l’en croire, la co-Rédemptrice du Christ, sur un fond d’atroces douleurs permanentes non soignées. Qui est-elle vraiment ? Bouflet repousse l’idée de l’escroquerie généralisée, celle de l’arnaque totale. Il en tient pour l’hypothèse de personnalités multiples, l’une occupant la conscience vigile au détriment des autres, et la distribution de cet accès à la conscience variant selon les circonstances. Que la main droite ne sache pas ce que fait la main gauche, en somme, transposé à la vie mentale. La psychiatrie américaine parle de « trouble dissociatif de l’identité » pour concevoir cette cohabitation, déconcertante pour John Doe (l’homme de la rue), mais très utile pour les avocats (mon client ? Lequel?). 

En clair, si l’on file l’hypothèse de Bouflet, il n’y a pas une Marthe, mais plusieurs. Laquelle est la vraie Marthe ? Bouflet, convaincu par De Meester, mais refusant d’accabler Marthe, est pourtant sur la voie : c’est la souffrance de Marthe qui est l’axe de compréhension de Marthe.

Passées en revue, ici furtivement, l’histoire sainte de Marthe, les critiques de l’histoire sainte, et les répliques ciblant bien mal les critiques formulées à l’encontre de l’histoire sainte, reste l’essentiel : tenter de reconstituer l’histoire réelle de Marthe Robin, en un mot, sa vie. 

C’est une consœur, médecin généraliste et addictologue, qui s’est livrée à ce qui n’avait jamais été fait avant elle à propos de la « sainte » de la Drôme. Le docteur Elisabeth Chevassus, fille de deux historiens, et donc baignée dès son enfance dans le culte des documents faisant preuves, sait mettre en perspective les réalités « synchroniques ». Elle remarque que l’histoire sainte fait se succéder des observations décousues, dont l’interaction avec le fil du quotidien et les péripéties extérieures est négligée.

De fait, on ne comprend rien à ce descriptif d’allure météorologique. Tel jour, elle a très mal.Ensuite, ça passe. Et ça revient, etc.… Elle est bonne élève, mais le jour de l’examen du certificat d’études, elle est malade. Tant pis pour le certif...Le jour de la communion solennelle collective, idem. Mais elle aura une cérémonie pour elle seule. Seule avec Jésus.

S’astreignant à la lecture de documents multiples, oû l’abondante prose hagiographique côtoie les archives départementales, et les documents locaux (Marie Rose Achard, sa voisine) inexploités, cette consœur doit au livre du Père De Meester d’avoir activé puissamment cette recherche personnelle. A notre avis, c’est par le livre en question qu’il faut commencer pour y voir plus clair sur le phénomène Marthe. Nous l’avons dit, Bouflet confirme, et cherche à comprendre.

En l’absence de tout bilan somatique et psychiatrique sérieux, toutes les hypothèses médicales sont des conjectures. Dans son livre « Témoignage d’un psychiatre » (1996), le Dr Alain Assailly (1909/1999), invité par le Père Finet à examiner Marthe, en 1951, obtempère, mais au bout de quelques brèves minutes, se voit signifier que le temps imparti est échu. Une mauvaise plaisanterie du Père Finet, ou une personnalité multiple en rotation accélérée chez l’abbé ?

Ce non-examen n’empêchera pas le neuropsychiatre de mettre son art à contribution, en exposant, sur une vingtaine de pages, ce qu’est l’encéphalite léthargique de von Economo, plus connue sous le nom de grippe espagnole. Hélas, sans nous dire, et pour cause, en quoi Marthe est concernée, et de quelle façon.

De quoi la souffrance est-elle capable quand la vie est misérable et sans recours apparent ? C’était le thème de « La Sorcière » de Jules Michelet (1862), très anticlérical. C’est aujourd’hui, sous le titre « Marthe Robin, un secret de famille », livre refusé par tous les éditeurs, et diffusé par Amazon exclusivement, que, documents mis à l’appui d’une expérience chrétienne et clinique, prend vie sous la plume d’Élisabeth Chevassus le tragique parcours que nous ne saurions dévoiler ici. Que ceux qui veulent enfin accéder à un récit cohérent et plausible de la vie de Marthe Robin fasse l’acquisition et la lecture de cet extraordinaire ouvrage, remuant jusqu’aux tripes. C’est le respect que l’on doit au courage de cette consœur à laquelle, faute de savoir comment la joindre, j’adresse un salut confraternel sans réserves.

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