Notre lettre 1133 publiée le 30 novembre 2024
PÈLERINS DE L’ESPÉRANCE !
TROIS QUESTIONS
A REMI FONTAINE
COFONDATEUR
DU PELERINAGE DE CHARTRES
En vue de l’année sainte 2025 qui a pour thème « Pèlerins de l’espérance », trois questions à Rémi Fontaine au sujet de son livre – Chartres t’appelle ! chez Via Romana – sur les sources du Pèlerinage de Chrétienté, qu’il dédicacera à la Fête du Livre de Renaissance catholique et au prochain Salon du Livre des écrivains catholiques.
Pourquoi avoir fait ce recueil sur le Pèlerinage de Chrétienté, dont vous êtes l’un des fondateurs ?
Remi Fontaine – Après bientôt un demi-siècle d’existence, il s’agit de considérer ce pèlerinage à l’aune des intuitions qui l’ont inspiré et des écrits qui l’ont accompagné au fil des ans. D’où ce sous-titre : « Propos de route et jalons pour l’histoire ». Ce recueil de textes divers, échelonnés sur plus de quarante ans, constitue en quelque sorte un livre blanc pour juger sur pièces de ses intentions. Il ne prétend pas dire toute la vérité du pèlerinage, lequel n’est évidemment pas exempt (comme ces textes) de critiques ni de faiblesses, mais révéler substantiellement son esprit depuis les origines. Esprit inscrit dans une « contextualisation » précise (comme on dit aujourd’hui), qui est celle de la crise religieuse post-conciliaire. En nous retrempant ainsi dans « l’esprit des origines » – qui se voulait aussi comme un esprit de croisade derrière l’appel de Jean-Paul II à la France – et au vu de la croissance du pèlerinage, nous sommes cependant d’autant plus fiers d’y avoir participé – comme pauvre cause instrumentale avec nos amis du Centre Charlier – que nous nous en sentons bien indignes…
Cette rétrospective induit en même temps une prospective ou une réflexion autour des notions de Chrétienté, de Tradition et de Mission (cf. nos annexes). Celle-ci vise surtout à montrer que nous ne cherchons pas à revenir en arrière, à être des pèlerins d’hier pas plus d’ailleurs que des pèlerins de demain, mais surtout des pèlerins d’aujourd’hui, autrement dit des pèlerins de toujours, perigini : étrangers au monde dans l’exacte mesure où l’esprit du monde est étranger à Dieu. C’est en cherchant Dieu, au-delà du monde et du temps, que les moines ont bâti la Chrétienté sans le préétablir… Ce livre s’inscrit d’ailleurs dans la préparation de l’année sainte 2025 dont le thème est « Pèlerins de l’espérance » !
Qu’est-ce qui, selon vous, caractérise le Pèlerinage de Chrétienté dans la durée?
Remi Fontaine – Aux trois piliers désormais bien connus (Tradition-Chrétienté-Mission), j’ajouterais trois particularités connexes :
• L’importance des laïcs selon la juste orientation de Vatican II pour la promotion du laïcat chrétien. Conçu, organisé et dirigé par des laïcs, le pèlerinage échappe ainsi depuis sa création à ce que le pape François appelle le (mauvais) cléricalisme (tant en interne qu’en externe), ce qui explique peut-être son ressort, sa concorde et sa longévité. Il y a en effet une grâce d’état liée au laïcat, non seulement à la jeunesse (comme disait André Charlier) mais aux familles et particulièrement aux parents qui ont la charge éducative et temporelle de transmettre la foi qu’ils ont eux-mêmes reçue de leurs parents. Sans être de l’Église enseignante, ils ont leur juste mot à dire en la matière et ils n’ont pas besoin de mandat pour ce faire. Dans les années 80, avec l’appui de prêtres amis, les organisateurs du pèlerinage ne se sont pas privés d’user de ce droit élémentaire, comme d’autres l’avaient fait avant eux (Lemaire et Madiran face à la révolution catéchétique et liturgique, les Scouts d’Europe devant la réforme SDF, le MJCF, les écoles indépendantes…).
• L’importance de la piété filiale : le pèlerinage s’inscrit dans une continuité (cf. le préambule historique d’Yves Chiron) avec des sources d’inspiration revendiquées, de saint Louis à Péguy et aux Charlier (laïcs précisément !), sans oublier Czestochowa et Le Mesnil-Saint-Loup, etc… Nous ne prétendons rien inventer sous l’inspiration de je ne sais quelle nouvelle Pentecôte charismatique. Pèlerins d’espérance parce que pèlerins de toujours, ni de demain ni d’hier ! En quête du Royaume et donc du salut des âmes. Notre volonté missionnaire est fondée sur l’Évangile et la Tradition. Une Pentecôte de Chrétienté !
• L’importance de la forme donnée à la société (dont dépend le bien ou le mal des âmes, selon Pie XII) ou de la royauté sociale du Christ. Car si son Royaume est au dedans de nous et n’est pas de ce monde (d’où la distinction des pouvoirs spirituel et temporel et le concept de saine et légitime laïcité de l’État), il a forcément un rayonnement sur notre vie sociale et politique au sens large. C’est l’objet de l’encyclique Quas Primas de Pie XI dont nous fêterons aussi l’an prochain le centenaire : « Les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. » Pas moins mais d’une manière autre évidemment comme on feint de ne pas le comprendre. Bien sûr la communauté surnaturelle de personnes qu’est l’Église fondée par le Christ ne se confond pas avec la société temporelle de familles qu’est la nation (voulue par le Créateur) et que l’Église doit informer (au sens philosophique) quelque soit l’unité ou la division de croyances en place. Mais si l’Église ne peut plus y trouver une certaine correspondance culturelle, ses fidèles devront forcément agir en contre-culture, comme pour les premiers chrétiens (ou au sein des dictatures modernes), avec ce que Benoît XVI appelait des « minorités créatives » ou des « oasis de chrétienté ». C’est notre conviction militante qui s’incarne dans un combat contre-révolutionnaire, pour un « lit de camp » à offrir au surnaturel, selon le mot de Péguy, qui n’est pas sans rappeler la parabole évangélique du terrain et de la semence, qui résume notre « théologie politique »…
Quel bilan portez-vous sur cette aventure spirituelle contemporaine, cet « appel » de Chartres ?
Remi Fontaine - À vues humaine et historique, c’est une incontestable réussite qui étonne étant donné les entraves humaines, religieuses et médiatico-politiques que le pèlerinage a dû souvent surmonter. Si réduite soit cette réussite, elle correspond visiblement à une aspiration de notre jeunesse et de notre époque pour la vraie religion, transcendante et exigeante. À un besoin d’identité chrétienne également dans un monde qui fait tout pour la renier. Elle constitue, nous semble t-il, une preuve vivante de la résilience et de la résurgence de l’esprit de chrétienté malgré l’apostasie et la sécularisation. Un reproche vivant aussi à ceux qui, parmi les catholiques (dits progressistes), ont voulu témérairement refouler cette grâce de l’héritage spirituel et des (re)commencements dont parle Chesterton : – Laissez-nous faire l’expérience de la Chrétienté !
En termes surnaturels, cette aventure providentielle ne dépend pas de nous et il faut rester humble devant ce succès. Car la vertu théologale d’espérance justement nous fait dépasser la seule logique de l’ordre temporel pour nous faire entrer dans l’ordre surnaturel qui peut nous apprendre également les leçons de l’insuccès, d’une certaine stérilité, le mystère de l’obscurité et de l’ensevelissement, finalement le mystère de la Croix et la fécondité du Sacrifice : « Si le grain de blé ne meurt… » On pense par exemple à l’épopée de Jeanne d’Arc ou aux chrétiens d’Orient. Il y a des réussites spirituelles visibles en ce monde mais aussi des échecs productifs, des clartés et des nuits de la foi, qui se suivent et s’enchaînent dans le mystère de l’espérance et des fins dernières. Sachons gouter et méditer pour l’heure les mystères joyeux plutôt que douloureux de cette route de Chartres en pèlerins de l’espérance !
Pour en savoir plus au sujet de prochain Salon du Livre des écrivains catholiques