Notre lettre 1134 publiée le 5 décembre 2024
SYNODE SUR LA SYNODALITÉ
UNE FUITE EN AVANT
TOUT EN RESTANT
SUR PLACE...
VERS UNE SYNODALITURGIE ?
Le synode sur la synodalité s'est officiellement achevé sur un « document final » qui n'est pas suivi d'une exhortation apostolique, mais dont le Pape François affirme qu'il « participe au Magistère ordinaire du Successeur de Pierre, et en tant que tel [il] demande qu'il soit accepté », tout en étant « non normatif ». La montagne semble avoir accouché d'une souris magistérielle, mais non normative. À moins qu’il s’agisse d’une manœuvre, un point d'étape pour endormir les oppositions. Ou bien tout simplement qu’on soit en présence du décalque dans l’Église de l’idéologie démocratique : on baptise « liberté » - ici « synodalité » - la plus insidieuse des dictatures.
En tout cas, loin de toute volonté d'ouverture, de transparence et de démocratie affichée, les promoteurs de la transformation de l'Église catholique en une Église synodale, tiède et anthropocentrée s'agitent en coulisses sur les innovations les plus problématiques, afin de les mettre en place et de rendre incontournables cette idéologie de la synodalité.
Le cardinal Zen s'en était aperçu en faisant l'analyse du document de clôture sur son blog, dont Riposte Catholique donne la traduction en français :
« Les « synodes » organisés par le pape François montrent qu’il souhaite à chaque fois modifier les doctrines ou les disciplines de l’Église plutôt que de discuter de la manière de sauvegarder ces doctrines et ces disciplines.
Il a utilisé le Synode sur la famille (2004-2005) pour tenter de permettre aux catholiques divorcés et remariés de recevoir la Sainte Communion. Il voulait utiliser le Synode sur l’Amazonie pour introduire « l’ordination de laïcs mariés (viri probati) en tant que prêtres ». Et pour le Synode de cette fois-ci, d’après les deux personnalités qu’il a nommées et les documents publiés par le secrétariat, nous pouvons voir qu’il a des objectifs plus larges : changer le système hiérarchique de l’Église (le remplacer par un groupe démocratique de baptisés) ; établir des femmes diacres (ouvrant la voie à des femmes prêtres) ; abolir le célibat des prêtres ; et changer la doctrine traditionnelle sur l’éthique « sexuelle » (en commençant par la bénédiction des couples homosexuels).
Pour atteindre ces objectifs, les réunions du Synode se sont déroulées selon une procédure qui mettait l’accent sur le partage et limitait les discussions. Les évêques, ainsi que les non-évêques entourant une table, étaient menés par le bout du nez par les soi-disant « facilitateurs ». Tout ce qui se passait dans l’assemblée était gardé strictement confidentiel, de sorte que nous, le Peuple de Dieu, n’avions aucun moyen de connaître les progrès de l’assemblée, bien que les « dirigeants » aient dit qu’ils accordaient beaucoup d’importance au partage et à la participation ».
Malgré ces manipulations, le petit quarteron d’experts (notamment les français Theobald, sj, et Legrand, op) à l’orthodoxie douteuse derrière le synode sur la synodalité a échoué à faire valider ses idées : « bien qu’il y ait eu peu de discussions formelles au sein de l’assemblée, les « leaders » ont rencontré une forte opposition lorsqu’ils ont proposé leur programme. Même le pape a affirmé, en dehors du synode, qu’il n’y aurait pas de femmes diacres. L’assemblée ne semble pas avoir discuté de « l’abolition du célibat sacerdotal », une question qui avait déjà été débattue à de nombreuses reprises lors des synodes précédents. Le Synode des évêques de 2023 n’a pris aucune résolution ; seul un résumé des sujets abordés a été remis aux membres et au public. Tout le monde a supposé que tout serait discuté et voté lors de l’assemblée synodale de 2024 ».
Pour un pape autoritaire comme jamais un pape ne le fut, l’abandon du sacerdoce masculin et même du célibat sacerdotal, c’est la protestantisation non pas doctrinale – on y est déjà – mais institutionnelle de l’Église et son éparpillement néantisant. Du coup, plus rien à gouverner.
Cependant, relève le cardinal Zen, « surprise ! Surprise ! Entre les synodes de 2023 et 2024, le dicastère pour la doctrine de la foi a publié une déclaration ferme intitulée « Fiducia Supplicans », insistant sur le fait que le clergé peut bénir les « couples homosexuels » dans certaines circonstances. Cette déclaration a provoqué une division sans précédent dans l’Église, les évêques africains étant au premier rang des protestataires, ainsi qu’une grande confusion parmi les fidèles. La déclaration a finalement été suspendue.
Mais il y a eu une autre surprise. Entre les synodes de 2023 et 2024, le pape a annoncé qu’il avait confié à plusieurs groupes d’étude le soin de se pencher sur toutes ces questions controversées et qu’ils soumettraient leurs réponses en 2025. Cette approche a, d’une part, déçu les radicaux et, d’autre part, laissé les traditionalistes inquiets quant à la manière dont ces problèmes seraient résolus à la fin ».
Cette absence d'exhortation synodale, et cette attente des groupes de travail en 2025 qui vont, on n'en doute pas, rendre des conclusions très hétérodoxes (comme par le passé la Commission instituée par Paul VI pour traiter de la contraception) dans la lignée de la contribution des évêques belges – territoire quasi complètement déchristianisé, mais où le Concordat maintient la façade d'une Église puissante – au processus synodal.
« Comme je l’ai dit au début de cet article, le jour de la clôture du Synode, le Pape a déclaré qu’il était d’accord avec le document adopté par le Synode et qu’il n’écrirait pas d’« exhortation post-synodale » comme le veut la tradition. Je suis sûr que certains apprécient grandement l’humilité du pape et sa confiance dans les participants au synode. Mais j’ai quelques réserves. Si le pape a réellement accepté la décision du synode, je pense qu’il n’est pas sage. Cette assemblée n’est pas un synode formel d’évêques ; c’est une raison supplémentaire pour dire que sa conclusion n’a qu’une valeur « consultative ». L’approbation du pape équivaut à lui donner une valeur d’enseignement faisant autorité.
Les fidèles acceptent volontiers l’autorité du pape, mais plusieurs questions se posent : Quelle est la valeur de cette conclusion synodale ? Qui a rédigé le projet de ce document ? S’agit-il d’un groupe élu par l’assemblée plénière du synode qui peut réellement la représenter ? Les membres de l’assemblée plénière auront-ils suffisamment de temps pour étudier ce document ? Qui s’occupe des « amendements » proposés par les membres de l’assemblée plénière ? Chaque amendement a-t-il été discuté et voté par tous les membres ? L’étude du document et la discussion des « amendements » sont des opérations complexes. Un document aussi long ne peut être sérieusement élaboré dans l’urgence. Je pose à nouveau la question : Comment le pape peut-il être entièrement responsable d’un tel document final ?
À moins de supposer que c’est le pape qui a dirigé et mené la rédaction de ce document.
Cette hypothèse ne relève-t-elle pas de la théorie du complot ? Tout le monde sait que le pape croit au « processus » (le temps est plus grand que l’espace). Ce qui n’a pas pu être réalisé dans cette assemblée peut l’être dans le processus qui commence maintenant. Le Synode est terminé, mais l’Église synodale commence maintenant ! Nous devons y vivre ! »
En tout cas, cette élévation au rang de magistère, mais non obligatoire, d’un document qui se donne et que donne le pape comme un document d’étape, un magistère intrinsèquement évolutif, va dans le sens de ceux qui disent qu’il n’y a plus de magistère du tout.
Irréversible, la synodalité est ir-ré-ver-si-ble !
De fait, l'Église synodale s'érige dans l'ombre – loin des évêques ou des fidèles qui y sont visiblement opposés en majorité, qu'ils soient ou non idéologiquement proches du Pape François. Ce dernier a beau venir en Corse faire la clôture d'un colloque sur les manifestations de piété populaire, publier une encyclique sur le Sacré-Cœur, et s'être fâché en Belgique avec les laïcs et universitaires qui prétendaient lui donner des leçons de tolérance et de progressisme, force est de constater que l'Église synodale s'inscrit dans une logique de « progrès irréversible ».
Ce pacte des sachants – le petit comité à l'origine de l'église synodale – contre l'Église, Piero di Marco le dénonce avec vigueur dans sa réponse aux propos d'Andrea Grillo dans Missa in Latino qui avaient fait des vagues au début de l'été, certains craignant un renforcement encore plus brutal de la persécution contre la messe traditionnelle : « la Tradition incorpore « un progrès légitime et insurpassable, qui est irréversible » ; ce serait aussi le sens du titre du motu proprio qui a semblé moqueur à beaucoup. Mais la Tradition de Grillo ressemble trop au Progrès de la rhétorique marxiste-pragmatiste d’autrefois (son mouvement est insurpassable, irréversible) pour avoir quelque chose à voir avec les traditions chrétiennes, et avec les traditions religieuses en général ».
Et d'enfoncer le clou : « je ne peux m’empêcher d’ajouter que les sensibilités et/ou les théories énoncées par Grillo s’opposent à la valeur pérenne et toujours agissante de l’ontologie mystère-sacramentaire dans la vie millénaire de l’Église. Je pense fermement, contrairement à ce que Grillo rejette avec dérision dans sa réponse à la cinquième question, que « ce qui était sacré pour les générations passées ne peut pas ne pas l’être aussi pour nous » ; rompre avec le sacré chrétien, avec les sacramentaire , était l’acte illusoire et dramatique de l’Entzauberung calviniste [...] Hostiles à la correction ratzinguérienne de 2007, ils ont cherché et cherchent depuis des décennies à avancer (le plus vite possible) de manière beaucoup plus subversive et autoritaire, vers une polarité a théologique opposée : abolition des livres liturgiques, situations de seuil, effervescence, théâtralisations et primitivismes rituels. Grillo sait exactement de quoi je parle. C’est l’espoir désespéré de la négation génératrice du nouveau ou de l’authentique ».
Le pendant d'Andrea Grillo en France, le Père Gilles Drouin, commentait ainsi sur le site de l'ICP le colloque sur la liturgie de janvier 2023 : « Si, ce que je crois, ou j’espère….la dynamique synodale en cours est un processus irréversible nous ne pourrons plus l’ignorer quand il nous faudra reformuler pour nos étudiants les grandes intuitions du Mouvement Liturgique et de Sacrosanctum Concilium. Plusieurs contributions, dont celle d’Alphonse Borras, ont souligné combien en ce sens Desiderio desideravi constituait une étape aussi originale qu’importante de reformulation des intuitions du Mouvement Liturgique pour des temps qui ne sont définitivement plus ceux qui les avaient vu être formulées, ni ceux du Concile.
Lex credendi, lex orandi. Graver l'irréversibilité de la dynamique synodale dans le marbre évolutif d’une liturgie synodale
Et à son tour Gilles Drouin il enfonce le clou, grandiloquent : « C’est une de nos tâches de liturgistes héritiers du Mouvement Liturgique : nous ne pouvons plus nous contenter de répéter comme des mantras rassurants ces grandes intuitions du Mouvement Liturgique, ni même les grandes formulations conciliaires, au nom même de la fidélité à cette tradition dont nous sommes convaincus qu’elle demeure pertinente et féconde pour aujourd’hui ».
« Nous pressentions depuis plusieurs années à l’ISL l’importance de la dimension ecclésiologique de la liturgie, nous l’avions d’ailleurs installée parmi les fondamentaux de notre offre de fondation. Si l’Église se laisse de fait traverser par le processus synodal, le rapport à la question liturgique s’en trouvera à coup sûr impacté.
C’est pour moi l’un des grands enseignements de ce colloque. Même s’il ne faut pas lester la conversion synodale de l’Église de vertus irréalistes, je parle de vertus et pas d’espérances irréalistes car il faut évidemment continuer à espérer en ces temps difficiles que traverse l’Église, il est possible que dans les différents domaines où nous pouvions nous « impatienter » de la difficulté ou de la lenteur de la réception de certaines des grandes intuitions de Vatican II, l’espace et la musique liturgique, la ministérialité, je fais évidemment allusion aux contributions de sr Dominique Waymel, de Philippe Robert et de votre serviteur, il est donc possible que cette réception puisse et doive d’une certaine manière prendre le chemin, qui n’est pas un détour, de la synodalité ».
Irréversible. Une synodalité irréversiblement synodale. Quoi de mieux, pour rendre irréversible cette Église synodale, qu'un nouveau rite qui lui soit adapté, irréversiblement évolutif quant à lui. Un rite qui imposerait, comme il se dit, des lectures qui ne soient pas nécessairement issues de la Bible. Qui obligerait le prêtre à célébrer avec les nouveaux offices féminins de 2021, acolytesses, lectoresses, et autres ministresses. Ou, pourquoi pas, qui obligerait les fidèles à chanter à l'unisson (même ceux qui chantent faux !), comme l'indique un document de la conférence des évêques catholiques du Canada en 2022 qui jette les bases d'une liturgie synodalissime.
Toujours au Canada – et même dans un Québec très déchristianisé, la communauté dite du Tisonnier – qui remue les braises sous la cendre – expérimente une fois par mois pour sa trentaine de fidèles des messes ou des assemblées en absence de prêtre, ainsi décrites dans un autre document de la conférence des évêques catholiques du Canada en 2022 :
« La liturgie occupe une place prépondérante au Tisonnier : nous organisons une messe par mois actuellement. Il arrive par contre que nous priorisions le partage de la Parole, au gré des besoins du groupe ou tout simplement en absence de prêtre pour présider l’eucharistie. Dans ce dernier cas, des personnes de la communauté sauront se charger de l’animation liturgique. Quel que soit le type de célébration, celle-ci se déroulera souvent dans un local loué d’un centre communautaire de Québec.
Avant de débuter la messe, c’est le coordonnateur qui, à titre de responsable du groupe, adresse un mot de bienvenue. Il peut inviter les gens à se recueillir, à réfléchir sur l’actualité ou à méditer les textes du jour. Après la proclamation de l’Évangile, nous partageons, soit en petits groupes ou encore, tous ensemble sous l’animation du prêtre célébrant, sur ce que la Parole provoque en nous.
Ce partage remplace généralement l’homélie. Ce qui est capital, pendant les partages, c’est que tous doivent avoir la chance de s’exprimer, tout en étant libres de le faire ou non. Les participants s’engagent à maintenir la confidentialité de ce qui est partagé par les autres [comme en loge, en somme]. Il s’agit ainsi d’une occasion d’accueil dans l’écoute active, le respect et la bienveillance, et jamais une occasion de débat d’opinions. À la fin de la célébration, le coordonnateur fait quelques annonces et il remercie les bénévoles impliqués. Puis nous nous retrouvons dans la joie pour fraterniser »
Aujourd’hui ceci tient lieu de messe pour une micro-communauté au Québec. Demain, peut-être, dans toute l’Église. N’est-ce pas admirable ? Tout ce tintoin synodal sur la synodalité va accoucher d’une synodaliturgie !