Notre lettre 1152 publiée le 22 janvier 2025
AFFAIRE ROSTU :
LES ASSOMPTIONNISTES
DÉSIGNENT LEURS ENNEMIS
Le psychodrame autour de la nomination d'Alban du Rostu, ex-bras droit de Pierre-Edouard Stérin, comme éphémère numéro 2 du groupe Bayard, qui édite notamment la Croix, la fronde des salariés, plutôt de gauche contre cette nomination droitière et une participation au rachat – avec Bolloré, Saadé ou encore Dassault – d'une école de journalisme à Paris, l'ESJ, en difficulté financière, puis l'annonce par Bayard et la congrégation des Assomptionnistes de l'annulation de cette nomination et de la participation commune avec Bolloré n'ont laissé que des mécontents. Et pas seulement parmi les lecteurs qui ont été mis de côté et n'ont rien compris dans les volte-face de Bayard.
Les Anciens contre les Modernes chez les Assomptionnistes
Telerama soulignait la rupture de confiance entre les salariés et la direction du groupe Bayard, avec déjà un clivage entre générations : « François Morinière a rencontré toutes les entités ce mercredi pour demander de ne pas faire de procès d’intention à Alban du Rostu et de le juger sur pièces, confie ce même journaliste. Sur l’ESJ Paris, il a dit que notre participation était très réduite et qu’au moindre problème, on reprendrait nos billes. Bref, il nous prend un peu pour des imbéciles. On a reçu des messages d’effroi de certains anciens, comme l’ex-directeur de la rédaction du Pèlerin, René Pujol. Notre seul actif, c’est le lien de confiance qui nous unit avec nos lecteurs et nos auteurs. Ces deux événements sont vraiment susceptibles de l’altérer. »
Mais aussi entre Assomptionnistes : « certains voient dans ces décisions une lutte entre anciens et modernes au sein des Assomptionnistes, la nouvelle génération affichant des aspirations plus identitaires. François Morinière est d’ailleurs lui-même président du fonds de dotation de la Nuit du bien commun depuis 2023, un événement de charité imaginé par Pierre-Édouard Stérin ». Il n'y a que 921 assomptionnistes dans le monde – dont 600 prêtres, parmi lesquels quelques dizaines en France dont un évêque, Benoït Gshwind, franco-suisse titulaire depuis fin novembre 2023 du siège de Pamiers en Ariège.
Mais c'est aussi depuis 1870 le principal groupe d'édition catholique, d'abord la Maison de la Bonne Presse (jusqu'en 1969), puis Bayard, dont la Croix – qui reste le principal quotidien catholique du pays, près de 150 magazines et les éditions Milan, des titres jeunesse, le Pélerin, et quelques autres titres, 1400 salariés en France. Et des pertes record – 7.5 millions d'euros annoncés au printemps 2024, un résultat net négatif de 4.8 millions d'euros en octobre dernier.
Alban du Rostu : « je n'imaginais pas que ce serait dans un groupe chrétien qu'on me reprocherait d'être chrétien »
Dans les colonnes de l'Express, le nominé cingle : « je n’imaginais pas que ce serait dans un groupe chrétien qu’on me reprocherait d’être chrétien, et dans un groupe qui s’adresse à toute la population qu’on me reprocherait d’avoir travaillé avec un entrepreneur de droite. Être évincé d’un poste contre ma volonté, après un long processus de sélection, la signature d’un contrat de travail et sous la pression de syndicats et d’équipes qui refusent de me rencontrer au prétexte qu’on m’impute les opinions d’autres personnes, n’est-ce pas là de la discrimination ? Dans le passé j’ai travaillé pour le cabinet d’Emmanuel Macron à l’Elysée ».
Outre ses états de service avec Macron, Alban du Rostu est, comme l'écrivent les médias spécialisés dans le conseil, un ancien associé de chez McKinsey – omniprésents dans l'exécutif français pendant le premier mandat d'Emmanuel Macron, avec des conséquences financières, économiques et sanitaires désastreuses... sauf pour McKinsey qui a réalisé des centaines de millions d'euros de revenus et des dizaines de missions pour Emmanuel Macron bien avant son accession à la présidence, selon le Monde...
« Il est un alumni du conseil en stratégie qui fait parler de lui ces dernières semaines… Et qui aurait sans nul doute préféré rester discret pour l’occasion. Alban du Rostu, 34 ans, consultant chez McKinsey entre 2018 et 2021, puis DG du Fonds du Bien Commun (FBC), créé par l’homme d’affaires milliardaire Pierre-Édouard Stérin […] En juillet 2024, L'Humanité annonce détenir des documents de travail conçus, entre autre par Sterin, et présentés en « comité exécutif » le 28 septembre 2023. Ces documents identifient Alban du Rostu comme étant l’un des cofondateurs et administrateurs du projet de Stérin Périclès, un acronyme – pour le moins clair – pour Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes -, avec à la clef pas moins de 150 millions d’euros sur les 10 prochaines années, visant à aider à l’installation au pouvoir des idées du RN ».
Cependant comme l'écrit ce site d'information sur les consultants, dans le « PV de l’AG constitutive de Pericles en date du 4 juillet 2023 », Alban du Rostu ne fait pas partie de Periclès. Les informations de l'Humanité étaient donc en partie fausses...mais dites du mal, il en restera quelque chose. Chez Stérin, Alban du Rostu a été remplacé par un associate partner de Bain Capital à New York... ce qui ne fait guère Eglise pauvre pour les pauvres... et peut aussi expliquer le malaise des salariés et syndicalistes de la Croix.
Dominique Greiner donne des gages au monde :
Bayard, un éditeur catholique qui écoute... quoi au juste ?
Néanmoins, c'est Dominique Greiner, ex-rédacteur en chef religieux de la Croix, Assomptionniste et directeur général de Bayard Presse à la parole rare, qui siffle la fin de la récré... sur la revue des médias de l'INA – c'est à dire l'Institut national de l'Audiovisuel, organisme public financé par l'Etat dont on apprend, dans le rapport de performances 2023, que la « dotation publique allouée à l'INA en 2022 atteint 88.5 millions d'euros HT […] le produit des activités de l'INA s'établit à 42.3 millions d'euros […] Son résultat d'exploitation atteint -1.5 millions d'euros ». Autrement dit un organisme d'Etat, censément en charge de la « conservation, valorisation et constitution progressive du patrimoine audiovisuel français » qui tient aussi une revue de presse sur les médias, aux frais des français, et est déficitaire. Les français paieront.
Et surtout, il y dit tout. Absolument tout.
Par exemple il y donne le positionnement du groupe Bayard, qui a le mérite d'être clair. Mais peut-on affirmer qu'il est catholique, ou que la notion même de catholique a été dévoyée ? « Bayard se définit comme un éditeur catholique. Sa mission, c’est de servir au dialogue entre la société et l’Église. Faire comprendre à l’Église ce qui se passe dans le monde d’un côté, et expliquer les positions et l’actualité de l’Église dans la société. Et catholique on ne le sera jamais assez. On ne sera jamais assez ouvert, universel ou à l’écoute de tout ce qui se passe. Il faut continuer à s’ouvrir et être conscient de la quête humaine dans le champ des savoirs artistiques ».
Et rappelle que Bayard est très centralisé – via les Assomptionnistes : « dans notre congrégation, le provincial d’Europe, c’est-à-dire le responsable pour tout le continent, détient l’essentiel des parts du capital social de Bayard. Il ne fait pas ce qu’il veut, il a une feuille de route. Les chapitres, qui sont des ensembles de mesures et d’idées prises tous les six ans par des délégués élus, définissent les orientations, et le chapitre de 2023 a explicitement encouragé la continuité des missions de Bayard ». Mais n'est pas à vendre : « nous avons décidé lors de notre chapitre que le capital social détenu par les Assomptionnistes dans Bayard faisait partie du patrimoine stable, incessible. Même si un provincial farfelu voulait revendre, il ne le pourrait pas. Il existe des verrous. Tout ce qui est établi par un chapitre peut certes en droit être détricoté par un chapitre suivant, mais il n’y a pas de raison, et par défaut tout est reconduit tous les six ans ».
Il y désigne aussi ses ennemis.
« L’argent corrompt. L’Église catholique se retrouve aujourd’hui en difficulté pour se positionner, notamment face à Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin. Ils polluent le débat par leur puissance économique et financière et promeuvent une forme du catholicisme. Qui n’est que ça : une forme du catholicisme. Très étroite, par ailleurs. Ils ont arrosé tous les mouvements de l’Église, qui aujourd’hui ne peuvent plus se passer de leurs fonds.
Je ne veux pas remettre en cause la générosité initiale de Pierre-Edouard Stérin, il a permis à un certain nombre d'initiatives, prises en charge par les diocèses hier, de continuer. Mais tout le monde se sent redevable. Comment vous voulez dire non maintenant ? Comment voulez-vous avoir un recul critique à l'égard de la même personne qui vous a bien aidé ?
C'est une question de positionnement pour l’Église. Saura-t-on, à un moment donné, dire « non, ça suffit » ? Accepterons-nous de vivre une plus grande pauvreté ? À Bayard, nous ne sommes ni achetables ni à vendre, mais nous devons être très vigilants sur le type d’opération auxquelles nous pouvons être associés ».
L'argent corrompt. Ou plutôt un certain argent, puisque dans sa vindicte quasi maoïste, il n'a pas désigné d'autres milliardaires, étrangers ou plus proches du pouvoir. On n'est jamais trop prudent. Ou les marchands de canon qui investisent dans la presse, ceux qui transportent des containers maritimes ou vendent des produits de luxe. Leur argent, sans doute, ne corrompt pas. L'argent a-t-il seulement une odeur quand il ne provient pas de gens qui s'affirment catholiques ?
Mais il reconnaît qu'il y a comme un problème :
« Je sens bien un décalage avec les frères plus jeunes. Ils ont vécu dans un monde où la foi n’était plus centrale, partagée, ils sont dans une perspective plus attestataire. Les jeunes cathos sont de droite, de gauche. Ils organisent des temps d’adoration ou des maraudes auprès des SDF, s’engagent dans l’écologie intégrale ou la justice environnementale, ils ne sont pas entièrement d’accord, mais ils vont à la messe ensemble et font des pèlerinages. Ils ont besoin d’exprimer autrement leur appartenance. Cela peut perturber des gens de ma génération.
On ne les comprend pas et on ne les connaît pas assez bien, et c’est facile de les qualifier de “conservateurs”. Comment fait-on pour s’adresser à eux en restant nous-mêmes ? Il faut changer nos codes, nos modes de communication. Si en tant qu’éditeur catholique on n’arrive pas à parler aux catholiques d’aujourd’hui, quelque chose ne va pas. Nos publics ont vieilli avec nous, il faut trouver de nouvelles médiations ».
Un problème même sonnant et trébuchant – : « par ailleurs, nous devons aussi leur parler car c’est un impératif économique, il faut faire vivre nos titres. Sans parler de notre mission de parler au plus grand nombre. Ce sont des problématiques complexes. Comment rejoint-on ces publics ? peut-être que nos produits ne suffisent plus et qu’il faut en imaginer d’autres ». L'argent corrompt-il ? Vous avez quatre heures.
Mais plutôt que de répondre à la question, ou tenter de régler le problème, Dominique Greiner croit à la communication : « c’est ça notre conviction, nous croyons à la puissance de la parole et de la rencontre. Le verbe permet de dépasser beaucoup de choses ». Etre « catholique » pour le DG de Bayard, c'est donc ça. Merci mon père, et bonne année 2025.