Notre lettre 1164 publiée le 19 février 2025
UN PAPE QUI ÉCRIT,
ÉCRIT, ÉCRIT...
POUR QUI ?
POUR LA POSTÉRITÉ ?
POUR PERSONNE ?
Nous souhaitons un prompt rétablissement au Pape François éprouvé par une méchante bronchite. Et nous lui souhaitons aussi de prendre ensuite un peu de repos.
Car il est aujourd’hui des chefs d'État démocratiques, qui se sentent obligés de parler tout le temps pour meubler l'espace médiatique, distraire leurs opposants, les troubler et essayer d'arriver à leurs fins. Et il y a aujourd’hui un Pape non démocratique, qui se sent obligé d'écrire sur tous les sujets, et dont les écrits occupent un rayonnage complet dans chaque bibliothèque de séminaire. Leur liste donnée sur le site du Vatican est reproduite en annexe.
S'il n'est pas trop féru de bulles – le site du Vatican n'en indique que deux, pour le jubilé de la Miséricorde en 2015 et celui du jubilé de 2025, les exhortations apostoliques et surtout les motu proprio pleuvent – le site du Vatican les recense sur cinq pages ! De la réorganisation du diocèse de Rome à celle de la Signature apostolique, en passant par « la transparence, le contrôle et la concurrence dans les procédures d'adjudication des contrats publics du Saint-Siège » (2023), les prélatures personnelles, le droit pénal des églises orientales, le patrimoine du Saint-Siège, les archives secrètes du Vatican, la formation liturgique du « Peuple de Dieu » (il est vrai que le besoin est grand…), le fonds de pension du Vatican et combien d'autres ? François veut décidément laisser sa trace partout, en érigeant un monument de lois, décrets, interventions, d’aucuns diront un monument de papier pour les générations à venir.
Évidemment, il n'oublie pas les grands et importants sujets. En premier lieu, la chasse aux fidèles de la messe ancienne, avec Traditionis custodes. La fraternité universelle ? Bien sûr, avec Fratelli tutti, sauf il va de soi pour ces teigneux, pouilleux, galeux, miteux, qu'aucune honte ne macule, les fidèles de la messe tridentine, les refuzniks de la grande kermesse synodale, et puis aussi les syro-malabars en Inde… qui veulent la messe face au peuple. La famille ? En traite Amoris lætitia, un texte qui fait exploser la morale familiale et dont c’est peu dire qu’il a divisé et déconcerté. François adore. L'écologie aussi, car il a un avis sur le sujet, dans Laudato si, sauf que tant d'arbres ont été sacrifiés pour imprimer les nombreuses œuvres du Pape !
Il a même ses idées sur le « rôle de la littérature dans la formation », une lettre envoyée non seulement aux séminaristes mais à l'ensemble des chrétiens, et traduite en huit langues, le 17 juillet dernier, écrite peut-être pour échapper à la torpeur qu’induit la chaleur d'un été romain, puisqu’il évoque lui-même ceux qui sont « dans l'ennui des vacances, dans la chaleur et la solitude de certains quartiers déserts ». Le Pape esseulé dans son bureau climatisé leur conseille, dans un très long développement avec force citations, de lire des grands romans. Une intelligence artificielle quelque peu facétieuse pourrait reprendre cette lettre et la dupliquer à l'infini sur tous les sujets importants que le Pape n'a pas encore abordés : des avantages comparés de la cuisine au beurre et de la cuisine à l’huile, de la médecine homéopathique, de la course à pied, du covoiturage, etc.
Nous n’aurions garde d’oublier la dizaine de livres écrite avant son pontificat, que l'on retrouve désormais sur ces fameuses étagères, et tous ceux, généralement en italien, qu'il a écrit ou fait écrire pendant son pontificat. Ils sont déjà 17.
Quant au magistère de l'Église il attendra.
Un Pape ne devrait pas écrire ça
Du dernier livre du Pape, Espère, on a surtout retenu le passage qui concerne ceux qui sont fidèles à la messe traditionnelle, rassemblement de « « toilettes recherchées et coûteuses, de dentelles, de rubans, de chasubles » portés par des prêtes qui sont des malades mentaux : « Ces déguisements dissimulent des déséquilibres, des déviations affectives, des problèmes comportementaux […] quelque chose qui cloche, qui pousse à dissimuler sa propre personnalité dans des contextes fermés ou sectaires ». Bref, il serait prudent que les évêques fassent au plus vite des signalements aux procureurs de ces prêtres et que la Ciase s’occupe d’indemniser les victimes qui assistent aux messes de ces déséquilibrés.
L’Union Lex orandi a manifesté son étonnement : « On n’imagine pas Jean-Paul II ou Benoît XVI oser de tels amalgames. Mais François, depuis Traditionis custodes, nous a habitués au principe de l’accusation sans fondement et de la punition collective.
Ces propos de Spera ne doivent donc pas nous étonner. Ils peuvent, en revanche nous affliger. Ils doivent, à certains égards, nous interroger : comment comprendre le subjectivisme qui guide ces propos, comme si le point de vue du Pape sur l’attachement à la liturgie traditionnelle ne pouvait se construire que par autoréférence, sans considération du mystère sacré qui est en jeu ou de ceux qui s’en nourrissent ? Comment comprendre le recours à de telles caricatures et de tels amalgames ?
Comment comprendre la référence exclusive à ce qui est transitoire, fugitif, en mouvement, et cette condamnation de ce qui est enraciné, stable, permanent : « Si on n’avance pas, écrit le Pape, si on ne bouge pas, la vie, qu’elle soit végétale, animale ou humaine, meurt. Cheminer veut dire changer, affronter des paysages nouveaux, accepter des défis nouveaux. » Cette dernière citation de Spera a-t-elle aucune parenté de pensée avec cette autre citation : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières ; ce qui importe, c’est de le transformer » (Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845) ? »
L'union lex orandi met l'accent sur ce qui pose finalement le plus problème. Jadis – et espérons-le, dans l'avenir –, les Papes écrivaient pour l'Église, la Chrétienté, la foi, l'éternité. Ils s'inscrivaient dans le fil du magistère, celui de l'Histoire de l'Église, et le prolongeaient pour les chrétiens d'aujourd'hui et de demain. Il est vrai que, depuis Vatican II ce n’est plus toujours évident, mais il y avait encore de beaux restes qui visaient essentiellement le magistère moral (Veritatis splendor). Quant au pape François, lui, il n'écrit que pour lui, en fonction de lui, et de ce qu'il perçoit des attentes du monde, des « signes des temps » imposés par des lobbys censés justifier tel abandon de théologie morale, telle poudre aux yeux synodale.
Les textes qui ont le plus divisé – au premier rang desquels Fiducia supplicans sur la bénédiction des couples hors normes morales, rejeté par bien des évêques d'Afrique, d'Asie, des pays d'Europe de l'Est et d'Asie centrale, d'une bonne moitié des Etats-Unis – sans doute la majeure partie des chrétiens dans le monde – ont été insufflés par le désir de donner des gages au monde, dans la droite ligne du catholicisme libéral si bien en cour à Rome depuis soixante ans.
Épuisant. Effrayant aussi. Quousque tandem abutere, Francisce, patientia nostra ?
