Notre lettre 211 publiée le 2 janvier 2010
LA SECONDE VISEE DU MOTU PROPRIO : LA REFORME DE LA REFORME
La publication de la version française de l'ouvrage de Monseigneur Nicola Bux intitulé La Réforme de Benoît XVI [1] nous offre l'occasion de sortir du cadre strict de la mise en œuvre du Motu Proprio Summorum Pontificum pour faire le point sur "la réforme de la réforme" engagée par le Souverain Pontife dans le domaine liturgique et la relation qui doit peu à peu s'établir entre les deux formes de la liturgie romaine.La première visée du Motu Proprio Summorum Pontificum est claire : faire en sorte que la messe traditionnelle devenue la forme "Extraordinaire" du rite romain, puisse être célébrée dans toutes les paroisses où la demande en est faite. Le Motu Proprio ne sera vraiment appliqué que lorsqu’on verra, dans les cathédrales de Paris ou de Versailles, comme dans celle de Luçon ou celle de Langres, la messe dominicale de 10h célébrée en forme ordinaire et celle de 11h en forme extraordinaire, ou inversement. Pour le dire d’un mot : en matière d’application du Motu Proprio, on se trouve aujourd’hui seulement sur la ligne de départ.
A - Le projet de "réforme de la réforme"
La seconde visée du Motu Proprio, pour être implicite, n’en est pas moins évidente, tant en raison de tout ce qu’a écrit précédemment le cardinal Ratzinger sur ce sujet que du fait du souhait formulé par le texte de 2007 : celui d’un « enrichissement réciproque » des deux formes qui désormais coexistent officiellement. Enrichissement : tout le monde sait que la forme la plus évidemment « riche » est celle qui bénéficie d’une tradition ininterrompue de dix siècles (et même de dix-sept siècles en ce qui concerne sa partie essentielle, le canon), et dont la valeur doctrinale et rituelle est au moins semblable à celle des autres grandes liturgies catholiques. Dans son ouvrage, Nicola Bux écrit : « Les études comparatives démontrent que la liturgie romaine était beaucoup plus proche de la liturgie orientale dans sa forme préconciliaire, que la liturgie actuelle. » De sorte que personne ne songe sérieusement à nier que la forme qui doit être enrichie/transformée en premier lieu est cette liturgie fabriquée hâtivement il y a 40 ans car, comme le souligne Nicola Bux : « Il faut avouer que la messe de Paul VI est loin de contenir tout ce qui se trouve dans le missel de saint Pie V. »
On a donc ainsi pris l’habitude de nommer "réforme de la réforme" ce projet d’enrichissement/transformation de la réforme de Paul VI, dans le but de la rendre plus traditionnelle dans son fond et dans sa forme. S'il serait exagéré de dire que la réforme de la réforme n’est encore que de l’ordre des vœux pieux, il faut néanmoins bien comprendre qu'elle n'en est - un peu comme la forme extraordinaire - qu’à ses débuts.
Deux remarques préalables très importantes s’imposent concernant ce processus à venir :
1°/ La réforme de la réforme, comme l’expression l’indique, ne concerne que la réforme de Paul VI. En aucune manière, elle n’induit une transformation, supposée « parallèle », de la forme traditionnelle du rite. Les deux formes ne sont nullement comparables du point de vue de leur relation avec la tradition, ni du point de vue de leur structure rituelle. Le bricolage du rite traditionnel serait un véritable sabordage auquel tout le monde aurait à perdre – la réforme de la réforme y verrait s’effondrer sa colonne vertébrale – et que d’ailleurs le cardinal Ratzinger a jadis prudemment et clairement écarté.[2]
2°/ En outre, la réforme de la réforme ne vise pas à établir, au moyen d’une série de réformes par voie de lois et décrets, un troisième missel, à mi-chemin entre le missel tridentin et le missel nouveau (lequel est d’ailleurs bien plus un ensemble indéfini, divers et évolutif, qu’un « missel » au sens traditionnel). Le cardinal Ratzinger hier, le pape Benoît XVI aujourd’hui, répugne à mettre en œuvre un mouvement de réformes autoritaires et continues semblable – mais en sens inverse – à ce qu’a été la mise en œuvre de la réforme de Paul VI. Il s’agit plutôt de commencer un processus progressif de rapprochement du missel de Paul VI en direction du missel traditionnel, ce que permet d’ailleurs sans peine le caractère modelable à volonté de la nouvelle liturgie : son caractère a-normatif permet paradoxalement d’infuser en elle la norme traditionnelle qui lui fait défaut. On peut d’ailleurs se demander si, au terme du processus, elle conservera un autre intérêt que celui d’être une propédeutique à la liturgie traditionnelle ?
B - Le livre de Nicola Bux
L’importance de la publication de ce livre tient d’abord au poids de son auteur. Mgr Nicola Bux, professeur de liturgie et de théologie sacramentaire à l’Institut de théologie œcuménico-patristique de Bari, en Italie, est consulteur des Congrégations pour la Doctrine de la foi et de la Congrégation pour la Cause des saints, consulteur du Bureau des célébrations liturgiques du Souverain Pontife, conseiller de la revue Communio, auteur de nombreux livres (notamment : Il Signore dei Misteri. Eucaristia e relativismo – Le Seigneur des mystères. Eucharistie et relativisme – Cantagalli, 2005) et de multiples articles (« A soixante ans de l’encyclique Mediator Dei de Pie XII, débattre sereinement sur la liturgie », L’Osservatore Romano, 18 novembre 2007). Et c’est un des partisans les plus influents de la réforme de la réforme de Paul VI.
Autour de lui on pourrait citer de nombreux noms, comme ceux du P. Alcuin Reid (The Organic Development of the Liturgy, Saint Michael’s Abbey Press, Londres, 2004), le P. Michael Lang (Se Tourner vers le Seigneur, Ad Solem, 2006), Mgr Nicola Giampietro (publication des mémoires du cardinal Antonelli, Apoc 2004), Mgr Athanasius Schneider (Dominus est « Pour comprendre le rite de communion pratiqué par Benoît XVI », Tempora, 2008), le P. Aidan Nichols (Liturgie et modernité, Ad Solem, 1998) ou encore Don Mauro Gagliardi (Liturgia, Fonte di Vita, Fede&Cultura, 2009). Sans oublier les initiatives promues par le Père Manelli et les Franciscains de l'Immaculée ni, bien entendu, l'action quotidienne de prélats importants comme Mgr Ranjith, Mgr Burke, le cardinal Cañizares, etc.
Aussi bien le livre de Mgr Bux a bénéficié de trois préfaces, celle du célèbre journaliste italien, Vittorio Messori (qui avait réalisé L’Entretien pour la Foi, avec le cardinal Ratzinger) pour l’édition italienne, celle de Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, pour l’édition française, et celle du Préfet de la Congrégation pour le Culte divin en personne, le cardinal Cañizares, pour l’édition espagnole. (PAIX LITURGIQUE PUBLIERA BIENTÔT LE TEXTE INTEGRAL DE CES TROIS PREFACES)
Selon Nicola Bux, la crise qui a blessé la liturgie romaine est due au fait qu'elle n'est plus centrée sur Dieu et son adoration, mais sur les hommes et la communauté. « Au commencement est l’adoration et donc est Dieu […] L’Église dérive de l’adoration, de la mission de glorifier Dieu », avait écrit à ce propos Joseph Ratzinger. La crise de la liturgie commence au moment où elle cesse d’être une adoration, où elle se réduit à la célébration d’une communauté particulière, dans laquelle prêtres et évêques au lieu d’être des ministres, c'est-à-dire des serviteurs, deviennent des « leaders ». C’est pourquoi, aujourd’hui, « les gens demandent toujours plus de respect pour garantir un espace personnel de silence, en vue d’une participation intime de la foi aux mystères sacrés ».
Il faut donc réapprendre à un clergé meurtri dans sa pratique et sa conscience cultuelles que la liturgie est sacrée et divine, qu’elle descend d’en haut comme celle de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse. « À ce propos, il faudrait faire des efforts pour chercher à comprendre pourquoi, malgré les apparences, la langue vernaculaire ne réussit finalement pas à rendre la liturgie plus compréhensible ». Il convient de rééduquer le prêtre à l’accomplissement des saints mystères "in persona Christi", dans l’Église, en tant qu’il en est ministre, et non comme l’animateur d’une assemblée refermée sur elle-même qu’il est devenu.
C - Le projet de réforme de la réforme : procéder plus par l’exemple que par des textes de lois
En dépit de la gravité du constat fait par Mgr Bux en particulier et par les « hommes du pape » en général, et ce dans la droite ligne de la pensée du Saint-Père en ce domaine, ni lui ni eux ne veulent de lois et de décrets qui, à la manière de ceux de l’époque Bugnini, tenteraient de tout bouleverser de manière autoritaire. Même si, liturgiquement parlant, l’Église est aujourd’hui bien malade, ils préfèrent agir par la médication douce de l’exemple : celui du Souverain Pontife d'abord, puis celui des évêques qui voudront bien eux aussi, à l'image du pape, donner l’exemple .
Ainsi, Benoît XVI multiplie-t-il les coups de pouce correcteurs qui, certes, peuvent ne paraître que de détail, mais la liturgie n’est faite que d’un ensemble de détails : manière très digne des célébrations pontificales ; beauté des ornements de la sacristie de Saint-Pierre que réutilise le cérémoniaire pontifical, ,Mgr Guido Marini ; disposition de gros chandeliers sur l’autel qui estompent l’effet théâtral du face-au-peuple ; et, surtout, distribution de la communion à genoux, sur la langue.
Aux évêques de faire de même dans leurs célébrations publiques. On sait aussi que le cardinal Carlo Caffarra, archevêque de Bologne, l'une des valeurs théologiques fortes de l’épiscopat d’Italie, a décidé récemment, par ordonnance du 27 avril 2009, qu’« étant donné la fréquence avec laquelle sont signalés des cas de comportements irrévérencieux dans l’acte de recevoir l’Eucharistie », il décidait « qu’à compter d’aujourd’hui dans l’église métropolitaine de S. Pietro, dans la basilique de S. Petronio et dans le sanctuaire de la B.V. de San Luca à Bologne les fidèles recevront le Pain Consacré uniquement des mains d’un ministre directement sur la langue ».
Pour sa part, Mgr Schneider comme Don Mauro Gagliardi [3] demandent que l’on rappelle fortement que le mode « normal » est celui de la communion sur la bouche, et que la communion dans la main n’est qu’un mode « toléré », même si celui-ci reste majoritaire pour un bon bout de temps. Cet encouragement est très important pour la renaissance de la foi en la présence réelle. Le respect du divin et du sacré s’exprime par des signes de révérence, dit encore Mgr Bux.
Mais il est d’autres points constamment évoqués par les partisans de la réforme de la réforme, on peut citer :
1. L’incitation à réduire le nombre des concélébrants et même celui des concélébrations : « Quand elle [la concélébration] devient trop fréquente, la fonction médiatrice de chaque prêtre en tant que tel est obscurcie ».
2. Faire en sorte de diminuer peu à peu la multiplication des parties optionnelles de la messe (sont visées les prières eucharistiques, dont certaines sont doctrinalement problématiques).
3. Réintroduire des éléments de la forme extraordinaire qui favorisent le sens du sacré et l’adoration, comme les génuflexions, baisers à l’autel, très antiques signes de croix du canon : « Le sacré s’exprime aussi dans les signes de croix et les génuflexions » (N. Bux).
4. Et bien d’autres choses encore : rappeler que le baiser de paix est une action sacrée et non un signe de civilité bourgeoise, réintroduire massivement l’usage de la langue liturgique latine, etc.
Enfin, et surtout, comment ne pas s'arrêter sur l’encouragement donné au prêtre de célébrer vers le Seigneur, au moins durant l’offertoire et la prière eucharistique. « La mesure la plus visible de la réforme liturgique, écrit Mgr Bux, a été le changement de la position du prêtre par rapport au peuple ». À la lumière de ces paroles, on peut donc légitimement estimer que la réforme de la réforme sera véritablement en marche lorsque le pape et les évêques célèbreront communément vers le Seigneur.
D - La pointe du projet de réforme de la réforme
Dans son livre, Nicola Bux constate que la clé de la nouvelle liturgie, telle qu’elle est sortie des officines Bugnini - l'auteur de la réforme liturgique -, est l’adaptation au monde. C’est ici que sa réflexion, à l'unisson de celle des partisans de la réforme de la réforme, se fait la plus radicale : l’essence de la liturgie catholique est d’être « comme une critique permanente que l’Église adresse au monde, alors que ce dernier tente constamment de la convaincre de lui appartenir ». Et donc, il faut se souvenir que révolution n’est pas réforme : « La réforme ne peut être entendue comme une tentative de reconstruction selon les goûts d’une époque déterminée ».
C’est pourquoi Mgr Bux cite et commente longuement le Bref examen critique, publié au sortir du Concile par les cardinaux Ottaviani et Bacci. « Ils déploraient, rappelle-t-il en approuvant les deux cardinaux italiens, l’absence de finalité ordinaire de la messe, c'est-à-dire le sacrifice propitiatoire. » Il faudrait être aveugle, en effet, pour ne pas remarquer que le nouveau rite de la messe a de facto un effet d’immanentisation du message chrétien : la doctrine du sacrifice propitiatoire, l’adoration de la présence réelle du Christ, la spécificité du sacerdoce hiérarchique et généralement le caractère sacré de la célébration eucharistique s’y trouvent exprimés de manière beaucoup moins sensibles que dans le rite traditionnel. C’est pourquoi les tentatives pour réinfuser dans le missel nouveau les prières exprimant le mieux sa valeur sacrificielle, à savoir celles de l’offertoire (voir par exemple, le manifeste en ce sens qu’était le livre du P. Paul Tirot, bénédictin : Histoire des prières d’offertoire dans la liturgie romaine du VIIe au XVIe siècle, Edizione Litugiche, 1985) reprennent aujourd’hui de la vigueur. (PAIX LITURGIQUE VA PUBLIER PROCHAINEMENT LE TEXTE INTEGRAL DU Bref examen critique, DES CARDINAUX OTTAVIANI ET BACCI)
S’il est donc un point où l’on peut tout de même s’attendre à une législation pour faire avancer le projet de réforme de la réforme, c’est certainement celui-là : la possibilité d’introduire dans la célébration ordinaire les prières de l’offertoire romain traditionnel.
Au total, si ce dessein prenait vraiment corps, on pourrait arriver à terme à une situation inverse de celle qui s’est produite entre 1965 et 1969 : à cette période de transformations brutales, où tout changeait alors dans un sens « progressiste », pourrait répondre une période d'évolution douce ou tout changerait dans un sens de resacralisation.
Une telle mise en œuvre de la réforme de la réforme serait pour le coup réellement réformatrice, dans le sens traditionnel, et très exigeante ! Elle procéderait par "contamination" pour user d’un terme familier aux historiens du culte quand ils veulent parler de l’influence d’une liturgie sur une autre : dans ce cas, il s'agirait de celle de la liturgie traditionnelle sur la liturgie nouvelle.
En fait, on pourrait même soutenir que la forme extraordinaire est peut-être la seule chance de sauver à terme la forme ordinaire, en faisant qu’elle devienne précisément de moins en moins ordinaire. Elle pourrait devenir alors comme une marche pour accéder à la liturgie extraordinaire. En tout cas, elle ne concurrencerait nullement la forme extraordinaire, mais lui fournirait au contraire un milieu bien plus favorable à sa diffusion et à son affirmation comme forme officielle de référence.
[1]. Nicola Bux : La réforme de Benoît XVI. La liturgie entre innovation et tradition. Tempora, octobre 2009, 204 p. 17,90€
[2]. En 2001, lors des journées liturgiques de Fontgombault, le cardinal Ratzinger avait affirmé qu’il n’était pas question, sans doute pour longtemps, de toucher au missel tridentin, essentiellement parce que sa présence et sa vie actuelle pouvaient servir de stimulation à une évolution du nouveau missel. Cette « ligne » est aujourd’hui clairement celle de la Congrégation pour le Culte divin et de la Commission Ecclesia Dei, où l’on estime par exemple que l’introduction du nouveau lectionnaire est impossible dans le rite traditionnel. Le seul aménagement du rite traditionnel envisageable, selon les liturgistes romains, serait l’introduction de quelques nouvelles préfaces.
[3]. Entretien donné à zenit.org