Notre lettre 288 publiée le 22 juin 2011

À MENDE, LE MOTU PROPRIO À L'AMENDE ?

Notre enquête sur les diocèses interdits de Motu Proprio Summorum Pontificum comportera finalement cinq lettres et non quatre. Que les nombreux lecteurs qui nous ont signalé l'oubli du diocèse de Châlons-en-Champagne dans notre décompte initial soient remerciés de la lecture attentive qu'ils font de notre lettre !

Cette semaine, c'est sur le diocèse de Mende que nous nous arrêtons.

Correspondant aux limites géographiques du département de la Lozère, ce diocèse en sursis appartient à la province ecclésiastique de Montpellier. Pourquoi “en sursis” ? Tout simplement parce que ce diocèse rural, qui fut une terre de catholicité jusqu’à la fin des années 60, a été lourdement frappé par l’exode rural (il est le moins peuplé de France : 75 000 habitants pour à peine 60 000 catholiques). D’où le fait que la sécularisation et la crise du catholicisme y sont encore plus visibles qu’ailleurs : la pratique dominicale, semblable à ce qu’elle est dans toute la France (moins de 5% de la population), ne rassemble plus que quelques milliers de personnes, plutôt âgées. En outre, la politique de regroupement paroissial a été poussée à ses limites extrêmes par Mgr Jacolin, évêque du lieu depuis 2007 : depuis 2009, le diocèse ne compte plus que cinq paroisses ! Certes, le service du culte est encore assuré par une quarantaine de prêtres en activité. Mais ces prêtres, d'une moyenne d'âge élevée, ne sont en réalité que les derniers représentants d'un diocèse jadis très riche en vocations. Oui, malheureusement, Mende est bel et bien un diocèse en sursis, l'un de ces diocèses de France appelés à disparaître dans les temps qui viennent.

Le diocèse a pourtant une riche histoire. Placé sous le patronage de saint Privat, qui aurait été martyrisé en Gévaudan au IIIe siècle ; célèbre pour avoir eu pour évêque, à la fin du XIIIe siècle, le plus grand liturgiste du Moyen Âge, Guillaume Durand de Mende, le diocèse a longtemps fourmillé de vocations religieuses et missionnaires. Le site internet du diocèse rappelle d'ailleurs : “Au XIXe siècle, chaque année on pouvait compter 20 ordinations. Longtemps le diocèse de Mende a fourni des prêtres aux diocèses qui en manquaient."

Bien sûr, Mgr François Jacolin, appelé sur le siège épiscopal en janvier 2007 (1), n'est pas le responsable de cette situation de faillite mais il est dommage qu'il se soit résigné à s'en faire le liquidateur. Sur le plan liturgique, bien que la non-application du Motu Proprio dans le diocèse soit de sa responsabilité, on ne peut pas ne pas considérer l'héritage que lui a légué son prédécesseur, Mgr Le Gall.

Aujourd'hui archevêque de Toulouse, Mgr Robert Le Gall a en effet occupé le siège épiscopal de Mende de 2001 à 2006. Il était auparavant Père Abbé de Sainte-Anne de Kergonan (latin et grégorien, liturgie de Paul VI très digne), abbaye fille de Solesmes. Élevé à l’épiscopat – symboliquement sur le siège de Durand de Mende – pour contribuer à redresser la situation liturgique en France, Mgr Le Gall est rapidement devenu et est resté Président de la Commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle au sein de la Conférence des évêques de France. Mgr Le Gall passait pour un liturgiste précis et rigoureux, n’hésitant pas à critiquer le Centre National de Pastorale liturgique.

Longtemps homme de confiance du cardinal Arinze, lorsque ce dernier était Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, Mgr Le Gall aurait dû faire avancer la question de la révision des traductions liturgiques en langue française et participer à la suppression des abus les plus criants. Il n’en fut rien. Et dans son propre diocèse, à Mende, Mgr Le Gall n'a laissé aucune trace de restauration liturgique. Au contraire, souvenir cuisant pour le bénédictin solesmien, continue à circuler cette photo de danseuses folkloriques lors d'ordinations diaconales à la cathédrale en 2004 :



Dans la ligne de Solesmes, l'ancien Père Abbé de Kergonan a fait jadis le choix de ne pas soutenir la liturgie tridentine – à la différence d’une autre fille de Solesmes, l’abbaye de Fontgombault – et de se faire le champion de la célébration digne du missel de Paul VI. Comme beaucoup de ces interprètes traditionalisants de la liturgie rénovée, souvent proche de Solesmes eux aussi, Mgr Le Gall en a fait un absolu au point de nier toute place à la liturgie traditionnelle. En octobre 2006, à peine promu à l’archevêché de Toulouse, lors du cinquantenaire de l'Institut supérieur de liturgie de l’Institut catholique de Paris, il allait même jusqu'à exprimer sa crainte – tant à la tribune de l'événement que dans les colonnes du Figaro – qu'en “libéralisant l'ancien rituel, le Pape fasse naître un front de défiance, de tristesse et de découragement vis-à-vis du Saint-Siège”, espérant même que “toutes les réactions entendues en ce moment en France pourront amener Rome à moduler le texte en préparation”. (2).

Reconnaissons cependant que Mgr Le Gall a voulu insuffler un peu de vie à son diocèse en tentant d'y introduire des communautés nouvelles. Malheureusement, une arrière-garde de prêtres ultra conciliaires a tout fait pour décourager toute introduction de sang neuf. Par exemple, l'Ermitage de Saint-Privat, au dessus de la la ville de Mende et de la vallée du Lot, est laissé à l’abandon depuis peu : il aurait pu sans dommage pour personne accueillir une communauté nouvelle pour en assurer l’entretien des lieux, l’accueil et l’évangélisation. Mais le choix des conseillers de l’évêque a été de le fermer.

En arrivant dans le diocèse en 2007, Mgr Jacolin recueillit donc cet héritage peu propice à l'accueil du texte libérateur de Benoît XVI.



UN ÉVÊQUE SANS AUTORITÉ ?

Pour mieux apprécier la situation difficile des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain dans le diocèse de Mende, il faut avoir à l'esprit qu'aucune messe traditionnelle n'y est célébrée, pas même par la Fraternité sacerdotale Saint Pie X, et que le diocèse voisin de Viviers est, lui aussi, vierge de toute célébration Summorum Pontificum.


A) Mende

En janvier 2008, Paix Liturgique relayait l'annonce de la création d'un groupe de demandeurs à Mende. À l'été 2010, voici comment Le Baptistère, bulletin d’information et de formation des catholiques attachés à la Messe de Saint Pie V et au successeur de Pierre, dans son numéro 52, rendait compte du sort réservé à cette demande : “Le cas le plus cocasse est certainement celui de Mende (Lozère)… Une demande a été effectuée par un petit groupe de fidèles, que le diocèse a acceptée… mais la messe dans la forme extraordinaire n’a jamais été célébrée depuis 2 ans faute de célébrant. Entre temps, le groupe de fidèles s’éparpille… et il est fort à parier qu’il ne restera plus grand-chose, dans un diocèse où les paroisses sont déjà bien clairsemées faute de fidèles.”

En fait, le groupe de demandeurs a résisté, de nouveaux fidèles motivés suppléant les anciens découragés par les atermoiements ecclésiastiques. Les témoignages que nous avons recueilli confirment tous que l'évêque a bien donné son accord, proposant même une chapelle de la cathédrale pour la célébration, mais sans être capable de trouver un prêtre disposé à officier. Faute de prêtre diocésain idoine, rappelons à Monseigneur Jacolin qu'il a toute liberté pour faire appel à un institut Ecclesia Dei, comme le rappelle l'instruction Universæ Ecclesiæ dans son article 22.


B) Marvejols

Et oui, nous avons connaissance de deux demandes dans le moins peuplé des diocèses de France ! C'est, encore une fois, la preuve qu'il y a partout des fidèles désireux de vivre leur foi au rythme de la forme extraordinaire du rite romain. Même dans le Gévaudan...

Le 6 février 2009, nous annoncions dans notre lettre 164 la première célébration d'une messe à Marvejols pour le dimanche 15 février à 16h30. Il faut dire qu'un groupe d'une vingtaine de demandeurs s'était constitué ce qui, dans une ville de 5000 habitants, n'est pas anecdotique. Hélas, le 12 février, dans notre lettre 165, nous devions publier les lignes suivantes : “La première messe selon la forme extraordinaire du rite romain annoncée pour le dimanche 15 février 2009 à 16h30 à l'église de Marvejols n'aura pas lieu. Elle est reportée à une date ultérieure.” Plus de deux ans après, les demandeurs de Marvejols attendent toujours cette première messe...

En fait, ce qui s'est passé à Marvejols est trop similaire à ce qui se passe à Mende pour que ce soit tout à fait fortuit. Car c'est le prêtre devant officier qui a fait capoter la célébration, sous la pression de ses confrères, prenant prétexte de la levée des excommunications frappant les évêques ordonnés par Mgr Lefebvre. Il voulait, a-t-il alors expliqué aux demandeurs, "éviter tout amalgame”.

Bref, à Marvejols comme à Mende, les prêtres résistent à leur évêque.

Malheureusement pour les fidèles de Lozère, ils semblent avoir hérité du seul évêque qui rechigne à user de son autorité ! Reste que le résultat à Mende est similaire à celui obtenu dans les diocèses dirigés par les évêques qui en abusent : dans tous ces cas, la volonté du pape n'est pas exaucée.


(1) De formation littéraire, Mgr Jacolin est entré au séminaire français de Rome dans les années 70 et a été formé en théologie à l'université grégorienne. Ordonné prêtre le 4 avril 1982, il a effectué tout son parcours sacerdotal au sein du diocèse de Châteauroux avant sa nomination à Mende par Benoît XVI.

(2) Article du figaro.fr, le 27 octobre 2006.

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