Notre lettre 291 publiée le 11 juillet 2011
CES PRÊTRES QUI N'AIMAIENT PAS LA MESSE...
Dans une précédente lettre, nous avons évoqué rapidement la mémoire de l'abbé Houghton, prêtre britannique, anglican converti, ayant démissionné de sa paroisse du Suffolk le jour de l'entrée en vigueur du Novus Ordo. Nous vous proposons aujourd'hui quelques lignes de sa main, extraites de son ouvrage “Prêtre rejeté”, disponible aux éditions DMM (*).« Le concile s'ouvrit le 11 octobre 1962. Jusque-là, l'Église paraissait convenablement sûre d'elle et raisonnablement exclusive.
Mais, à compter de ce jour, la "remise en question" devint la loi. Je ne peux pas donner de date précise, mais, dans mon doyenné, l'usage liturgique des langues vernaculaires fut bien antérieur à 1964. Si je réussis à l'arrêter pour les messes paroissiales, il n'en alla pas de même pour les messes privées. L'expérimentation devenait à la mode. On m'apprit qu'un prêtre disait la messe en semaine dans la salle à manger de son presbytère, au cours du petit déjeuner, avec du toast consacré – tout le toast du petit-déjeuner !
Je débarquai chez lui sans attendre et lui dis ce qu'on m'avait rapporté.
- Qu'est-ce qu'il y a de mal à ça ? me demanda-t-il. J'essaie seulement de rendre la messe un peu plus réaliste et vivante.
- Ce qu'il y a de mal ? Tout. Vous serez aimable de dire la messe avec les hosties et le vin prévus, en observant les rubriques de 1962 qui viennent d'être publiées, et à l'autel de votre église.
- Je le ferai certainement si vous insistez.
- Eh bien, j'insiste.
- C'est donc entendu. D'ailleurs, je ne voudrais pas vous offenser pour un empire car vous êtes un bon type. Mais vous faites fausse route.
Précisons que j'aimais bien le prêtre en question. Il a malheureusement fini dans un asile de fous après avoir tenté d'assassiner un évêque des plus progressistes. C'était le meilleur des hommes - à l'équilibre un peu fragile cependant.
Dans une des grandes maisons de la paroisse, il y eut aussi, vers la même époque, une messe concélébrée par un prêtre catholique très connu, deux anglicans et deux non-conformes. Tout était admirablement organisé, mais on avait oublié les hosties. Il fallut envoyer quelqu'un en chercher à Bury. C'est ainsi que j'eus vent de la chose.
Il y eut encore le voyage en Angleterre du cardinal Bea pour "prendre le pouls" de la réaction des catholiques anglais à l'œcuménisme. Il devait rencontrer deux représentants de chaque diocèse. J'écrivis immédiatement à l'évêque que je pensais être un délégué possible en ma qualité de converti et d'ancien secrétaire de la Conférence des hautes études. Il me répondit très courtoisement que le comité chargé de l'accueil du cardinal Bea avait décidé qu'il ne rencontrerait pas de convertis, car ceux-ci seraient inévitablement mal disposés envers leur ancienne confession. Quel merveilleux raisonnement ! Seuls ceux qui ignoraient tout de la question pouvaient être vraiment objectifs !
Lorsqu'il fut permis d'user des langues vernaculaires dans toute la liturgie, la vie devint franchement pénible. Tous les prêtres de mon doyenné, l'aumônier d'un couvent dominicain excepté, mais mon vicaire compris, adoptèrent le vernaculaire ; je demeurais donc le seul prêtre séculier à célébrer en latin. Des deux cent soixante-dix prêtres séculiers du diocèse, quatre seulement continuèrent à dire la messe ancienne. Notre pétition pour demander que l'évêque autorise l'ancienne messe obtint quatre-vingt-dix signatures parmi les prêtres du diocèse, mais le refus de l'évêque leur ôta le courage de la dire.
Dans la paroisse, le résultat fut lamentable : le curé et son vicaire ne disaient plus la même messe. Je songeai à me retirer sans attendre.
Mais je décidai de n'en rien faire : la messe de 1964 ne touchait pas au canon, qui, en théorie, devait toujours être dit silencieusement et en latin. Il était encore possible de célébrer la messe modèle 64 avec une certaine dévotion. J'écrivis cependant à l'évêque pour lui remettre ma démission du jour où l'on toucherait au canon. Il me répondit une lettre tout à fait gentille où il affirmait : "personne ne songe à réformer le canon" et "les évêques sont là précisément pour interdire que l'on y touche". Pauvre cher évêque ! II n'avait pas la moindre idée de ce qui allait arriver. Mais moi, je savais. J'avais eu des renseignements par mes amis de la Conférence des hautes études et d'autres lors d'intéressantes conversations à Moissac, au séminaire de la Mission de France. J'eus aussi l'occasion de me rendre au Canisianum à Innsbruck où je pus parler librement avec Karl Rahner et Jungmann. Tout cela était très instructif.
Il y avait cependant une question à laquelle je trouvais difficile de donner une réponse satisfaisante. Tous les prêtres avaient dit quotidiennement la messe ancienne avec le soin voulu et, apparemment, avec dévotion. Comment se faisait-il que 98 % d'entre eux acceptaient volontiers qu'elle change alors que ni le concile ni le pape n'en avait donné l'ordre. Ils avaient sauté sur cette simple permission comme les pourceaux de Gadara dans la mer. D'autre part, j'étais doyen depuis plusieurs années et connaissais bien les prêtres de mon doyenné. Deux seulement étaient assez sots pour se croire supérieurs et se réjouir de pouvoir exprimer leur personnalité. A titre privé, les autres étaient contre les changements. Un seul, le dominicain déjà mentionné, restait fidèle à l'ancienne messe. Qu'est-ce qui leur faisait accepter les changements ? L'obéissance, l'apathie, la crainte des représailles, le désir d'être tranquille - tout cela jouait certainement. Mais le fait demeurait : il n'était pas possible qu'ils aient aimé la messe ancienne. Ce n'était qu'un rite dont on pouvait changer comme on change de pantalon. Mais s'ils n'aimaient pas la messe, sans doute étaient-ils incapables d'adorer. Ils devaient considérer que la messe était une chose qu'ils avaient à faire, et non une chose que Dieu faisait.
Lex credendi, lex orandi : la foi régit la prière, la prière régit la foi. Je n'éprouvais aucun doute quant à la foi de mes confrères, à l'exception de l'un d'eux peut-être. C'était donc du côté de la prière qu'il fallait chercher. Là, je trouvais que nous, prêtres, étions vraiment défaillants. Nous étions tous beaucoup trop occupés à dire la messe, à dire le bréviaire ou à faire quelque chose pour passer un moment en prière devant le saint-sacrement. Nous encouragions les laïcs à une forme de prière que nous ne pratiquions guère. Je voyais maintenant clairement comment, au cours de mon séminaire à Beda, ma formation ascétique avait été poussée. On m'avait enseigné comment me perfectionner, mais on ne m'avait pas appris à prier - c'est-à-dire comment adorer Dieu. Le peu que je savais là-dessus, je le devais à ma lecture de mystiques comme sainte Gertrude d'Helfta ou Thérèse d'Avila, ou d'auteurs spirituels tels que Augustin Baker, Surin et Grou.
Il est clair que, dirigée vers le perfectionnement de soi, l'ascèse requiert des actes humains intelligents, aidés par la grâce actuelle.
La prière de son côté, en tant qu'elle est l'adoration de Dieu, est le fruit de la grâce habituelle ou sanctifiante ; elle est le retour au Père de l'amour du Saint-Esprit par l'intermédiaire d'une personne humaine. Du point de vue humain, c'est un acte de la volonté qui tend à nous vider de nous-même, à engendrer le recueillement et à favoriser l'adhésion, en vue d'adorer Dieu.
Dès lors que cette distinction entre ascèse et prière est clairement perçue, je crois qu'on peut comprendre la révolution dans l'Église.
Les prêtres - notamment les prêtres les plus efficaces, c'est-à-dire les évêques - en ont eu assez d'une liturgie dans laquelle ils n'avaient rien à faire. Ils ont donc voulu une messe ascétique au lieu d'une messe adorante - l'action au lieu de contemplation. Ils l'ont eue. »
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(*) De l'abbé Houghton, sont disponibles aux éditions Dominique Martin Morin (DMM) :
- Prêtre rejeté, édition 2005, 320 pages, l'autobiographie, complétée d'articles inédits, de l'abbé Houghton,
- La paix de Mgr Forester, préface de Gustave Thibon, 1985, 256 pages, où l'auteur imagine l'instauration de la paix liturgique à l'initiative d'un évêque décidée à remettre la messe à l'endroit,
- Le mariage de Judith, 1994, 256 pages, qui met en scène une jeune convertie désireuse d'une vie de famille catholique en plein post-concile.
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